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Vies ordinaires en Corée du Nord

Le dimanche 14 novembre 2010, par Laurent Sapir
Quand le docteur Kim parvient à rejoindre une première ferme en territoire chinois après avoir fui la Corée du Nord, elle aperçoit, à même le sol, une gamelle remplie de riz blanc, un aliment dont elle ne souvient même plus d'avoir vu la couleur dans son pays natal dévasté par la famine. Un chien, soudain, se met à aboyer. Le Dr Kim comprend, dés lors, que les chiens chinois sont mieux traités que les médecins coréens.
 
Ainsi voguent ces "vies ordinaires en Corée du Nord" telles que les relate la journaliste américaine Barbara Demick dans un ouvrage exceptionnel et qui fait véritablement honneur à son métier. Car il ne s'agit pas, ici, de noyer l'enfer nord-coréen sous une pluie de statistiques ou de pieuses condamnations. Il s'agit encore moins de broder sur la folie d'une dynastie dirigeante (Kim Il-Sung et son fils Kim Jong-il) dont seules les frasques nucléaires sont susceptibles, pour le moment, d'endiguer l'indifférence des opinions occidentales.
 
Le vrai personnage du livre, en fait, c'est le peuple nord-coréen lui-même, cette masse jusqu'à présent indifférenciée dont le talent d'une journaliste suffit à exhumer le calvaire, mais aussi le courage et l'instinct de survie à travers six ou sept parcours individuels de transfuges que Barbara Demick a pu rencontrer lorsqu'elle était en poste à Séoul pour le "Los Angeles Times" : Kim, la doctoresse idéaliste, mais aussi Hyuck, le gamin vagabond ou encore Mi-ran et Jun-Sang, ces jeunes amoureux qui n'ont que la nuit pour échanger quelques mots doux puisqu'en journée tout geste affectif est strictement interdit dans le pays le plus répressif de la planète.
 
La plume de Barbara Demick est à la lisière du romanesque, parfois, pour déployer tous ces destins. Les Américains appellent ça  "narrative nonfiction", sauf qu'au bout du compte c'est bien la lumière la plus crue qui est soudainement braquée, ici, sur un pays soumis au  "black-out" permanent, à l'image de ces photos-satellites qui, la nuit, ne saisissent de la Corée du Nord que l'obscurité la plus compacte, faute d'électricité, alors que les capitales voisines, Séoul, Tokyo, Pékin, sont au contraire saturées d'éclairages nocturnes.
 
Le récit de Barbara Demick est bouleversant. Il génère beaucoup de colère chez le lecteur, surtout lorsqu'il est question de cette infâme survivance, cette terrible famine des années 90 que le régime a sciemment entretenue en refusant toute aide étrangère. On pense alors à ces pays dits "communistes" et qui se targuaient, à défaut de faire respecter les libertés, de garantir au moins ce qui était, à leurs yeux, le premier droit de l'homme, à savoir le droit de manger à sa faim.
 
Eh bien le régime nord-coréen n'a même pas garanti ce droit élémentaire à son propre peuple. Hôpitaux sans médicaments, cantines sans aliments, nécessité pour survivre, ou pour mourir moins vite, de bouffer des herbes, de l'écorce et même des rats... Ce fut effectivement le "Grand Bond" dans l'horreur, rythmé par ces éternels slogans radieux exaltant la longue "marche éreintante" d'un pays n'ayant soi-disant rien à envier au reste du monde. On comprend que pour les Nord-Coréens avides de fuir le pays, la Chine était comme une sorte de paradis !
 
Difficile, après de telles épreuves, de s'acclimater à une nouvelle vie. Sans concessions pour les Staliniens de Pyongyang, Barbara Demick ne cache pas non plus les difficultés d'adaptation pour les transfuges qui débarquent à Séoul. Son récit est en même temps un formidable message d'espoir sur la capacité de révolte qui peut embraser toute une population malgré l'endoctrinement dont elle fait l'objet. On le sait, ils sont de plus en plus nombreux aujourd'hui à fuir la Corée du Nord. Ils sont de plus en plus nombreux à écouter la radio sud-coréenne. On sait aussi que ce sera plus dur que la chute d'un Mur.
 
"Vies ordinaires en Corée du Nord", de Barbara Demick (Albin Michel)... Coup de projecteur sur TSFJAZZ avec l'éditeur de l'ouvrage, Francis Gefffard, ce mardi 16 novembre, à 8h30, 11h30 et 16h30
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