La voix d'Hind Rajab
Côté pile : la vraie voix d’une fillette piégée sous les chars israéliens, agonisant au téléphone. Côté face : des acteurs qui rejouent les bénévoles du Croissant-Rouge palestinien. De quoi ce procédé hybride — et franchement douteux — est-il le nom ?
Quelle brigade de choc, ce Croissant-Rouge palestinien ! Cœur en or et nerfs d'acier —yeux rougis et lèvres tremblantes incluses —, Rana, Omar, Mahdi et Nisreen tiennent bon. Ils doivent tenir : au bout du fil, une petite fille qui a tenté de fuir Gaza avec les siens. Piégée dans une voiture que les chars israéliens ont criblée de balles, entourée des corps de son oncle, de sa tante et d’une cousine, elle multiplie les SOS dans l'attente d'une ambulance. Le temps file, sa voix s’affaiblit. Le suspense se veut insoutenable.
« Suspense » ? On connaît pourtant la fin. Le 10 février 2024, Hind Rajab, 6 ans, est retrouvée morte dans un véhicule pulvérisé par les chars de Tsahal. Deux ambulanciers autorisés finalement à la secourir ont subi le même sort. Mais plus que les images, c’est un enregistrement audio qui bouleverse le monde : la voix de Hind, ses appels de plus en plus désespérés. C'est à partir de cette matière — tétanisante, réelle, une voix qui s'éteint peu à peu - que Kaouther Ben Hania prétend faire cinéma et... suspense.
Pour y parvenir, l'autrice tunisienne des Filles d'Olfa n'y va pas avec le dos de la cuillère. Comme dans son film précédent, où elle faisait rejouer les traumas d’une famille pour mieux les exorciser — avec des effets de miroir bien plus subtils —, elle mêle réalité et fiction : ici, la vraie voix d’Hind, réduite à un tracé électronique sur écran noir ; là, des comédiens incarnant les secouristes du Croissant-Rouge. L’hybridité vire très vite au malaise. Outre la pauvreté filmique du dispositif (cette agitation de caméra, surtout…), le film tente un pont improbable entre un document brut — qu’on voudrait sanctuariser tant il lacère — et une reconstitution mimant les tensions émotionnelles des séries de “super-sauveurs”, façon Urgences. Était-ce bien l’effet recherché?
Le film n’avait pas besoin d’exalter une “brigade de choc” du Croissant-Rouge — encore moins de pousser des acteurs à en faire trop. Ou alors il aurait mieux fallu documenter le fonctionnement de cette équipe de bénévoles et sa relation viciée, dès le départ, avec les unités israéliennes chargées d’"administrer" les civils dans les territoires occupés. Kaouther Ben Hania a préféré le thriller appuyé, l’efficacité hollywoodienne — avec, au passage, la caution de producteurs exécutifs comme Brad Pitt et Joaquin Phoenix. On lui souhaite simplement d’éviter qu’un jour la célèbre phrase-couperet de Jacques Rivette visant le travelling complaisant de Pontecorvo dans Kapò ne s’applique à elle : sous couvert de bonnes intentions, il n’« avait droit qu’au plus profond mépris ».
La Voix d'Hind Rajab, Kaouther Ben Hania (sortie en salles ce mercredi 26 novembre)