Bugonia
Son univers déjanté dans un registre pince-sans-rire n'a pas toujours eu l'effet escompté... Du moins jusqu'à "Bugonia", une fable SF ancrée dans l'Amérique contemporaine qui permet à Yorgos Lanthimos de signer son meilleur film.
Farces nébuleuses, cauchemars dévitalisés, baroque boursouflé... Elles ont parfois fermenté de travers, les différentes fioles qui peuplent le laboratoire de Yorgos Lanthimos. Comme s'il manquait toujours au cinéaste grec le même réactif de base : la constance. Et voilà Bugonia, première œuvre qui tienne la distance, première alchimie stabilisée, première potion que l'on avale jusqu'à la dernière goutte -même si la fin vaut son pesant de cacahuètes -, sans que jamais ne se dissipent les deux ADN de base de Yorgos le désenchanteur : son flegme sardonique et l'inventivité de ses mises en forme.
Au départ, l'enlèvement d'une PDG de groupe pharmaceutique (Emma Stone) qui a bien du mal à tenir un dialogue sensé avec ses deux ravisseurs : un apiculteur complotiste (Jesse Plemons) et son cousin (Aidan Delbis), qui est autiste. Tous deux sont persuadés que leur proie est une extraterrestre, prête à liquider les abeilles... et l'humanité dans la foulée. Madame dispose de quatre jours, jusqu'à une éclipse de pleine lune, pour négocier une audience salvatrice entre ses deux geôliers et l'empereur de sa planète. D'ici là, crâne rasé et corps badigeonné de crème antihistaminique. Objectif: neutraliser tout SOS intergalactique.
S'ensuit un délire sacrément bien dosé, même s'il faut savoir en épouser tous les aléas. De fait, Lanthimos se fait d'abord plaisir. Retransposant à sa sauce un film coréen (Save the green Planet !, Jang Joon-hwan) qui a écumé quelques festivals dans les années 2000, il brasse SF, thriller et comédie macabre, prenant surtout soin d'épauler deux fois son fusil : ses deux rednecks en prennent certes pour leur grade, mais leur otage ligotée, experte en greenwashing sur papier glacé, n'a pas forcément le bon rôle. Moins fouillis qu'Eddington (Ari Aster a co-produit le film), Bugonia partage avec lui le même diagnostic : celui d'une Amérique qui dysfonctionne plein pot, en panne de sauveur comme de repères moraux.
La mise en scène déploie cet argumentaire en variant les décors : sous-sol isolé, ruche ensoleillée, bureaux immaculés, hôpital désert... Une science de l'espace jamais oppressante, portée de surcroît par une interprétation hors pair. Après Pauvres créatures et Kinds of Kindness, Emma Stone semble une fois de plus s'amuser énormément. Quant à Jesse Plemons, il n'en finit plus de pulvériser l'écran, tel un fauve traqué à l'âme cabossée.
Bugonia, Yorgos Lanthimos (Sortie en salles ce mercredi 26 novembre)