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Rien ne s'oppose à la nuit

Le samedi 03 septembre 2011, par Laurent Sapir

C'est elle, sur la couverture du livre. Prise de profil à la table familiale, une cigarette à la main, elle a le regard ailleurs et "son sourire est d'une obscure douceur". Ce n'est pourtant pas encore le moment où , face à l'agitation ambiante, Lucile opposera son "mutisme anéanti" . Lucile s'est ôtée la vie il y a un peu plus de trois ans. Sa fille, Delphine de Vigan, qui nous avait tant émus en 2009 avec Les heures souterraines, la remet en lumière, mais c'est une lumière particulière, secrète, venue du noir, comme le fameux "Outrenoir" cher à Pierre Soulages.

Au départ, Lucile est une jolie gosse. Trop jolie, dira-t-elle plus tard, pour ne pas le payer très chèrement... En attendant, elle fait des séances photo pour des marques de vêtements pour enfants, histoire d'arrondir les fins de mois de la tribu familiale. Il faut dire qu'ils sont  nombreux autour d'elle : neuf frères et soeurs au total. Une troublante fiche sur les dates de naissance et de décès de chacun nous indique dés le début que certains d'entre eux ne vivront pas bien longtemps. Et pourtant, un joyeux parfum d'exubérance irrigue cette chronique de pré-bobos version Trente Glorieuses, sous la houlette d'un père à la fois ouvert et étouffant.

Trop étouffant, le père, pour ne pas dire plus... C'est vers la trentaine que Lucile commence à perdre la tête sous le regard de ses deux filles. Delphine de Vigan cherche la bonne distance pour raconter des épisodes parfois très gore... Elle ne raconte pas tout. Elle se souvient aussi de  la fantaisie dont regorgeait sa mère et trouve que cette fantaisie, et puis aussi cette culture exceptionnelle, Lucile les a pour ainsi dire préservées dans sa dégringolade. Affirmer à tue-tête qu'on a été dîner, un soir, avec Claude Monet et Emmanuel Kant et que c'était des messieurs vraiment formidables n'est pas, effectivement, la façon la plus glauque de descendre en enfer...

Plus l'histoire est dure, plus la plume est douce dans ce récit qui ne prétend rien exorciser. Delphine de Vigan veut simplement savoir ce qu'elle transmet. D'où écrit-elle ? Qu'est ce qui, en Lucile, vit encore en elle et façonne ses peurs, ses élans et peut-être aussi ses romans ?  Réponses en pointillés, sur le fil peu à peu détendu d'une écriture à fleur de peau.

Rien ne s'oppose à la nuit, de Delphine de Vigan (Lattes), prix du Roman Fnac 2011. Coup de projecteur avec l'auteur, ce mardi 6 septembre, sur TsfJazz (8h30, 11h30, 16h30)

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Rien ne s'oppose à la nuit

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