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OLIVER NELSON

Les heures souterraines

Le mardi 13 octobre 2009, par Laurent Sapir

Mathilde et Thibault s'enfoncent en parallèle. "Ne pas se voir descendre du train, ne pas se voir dire bonjour avec l'envie de hurler, ne pas se voir entrer dans l'ascenseur, ne pas se voir avancer à pas feutrés sur la moquette grise, ne pas se voir assise derrière ce bureau"... Voilà pour Mathilde. "Pourtant, la plaie d'amour contient en elle tous les silences, les abandons, les regrets, et tout cela, au fil des années, s'additionne pour former une douleur générique. Et confuse. Pourtant, la plaie d'amour ne promet rien: ni après, ni ailleurs"... Voilà pour Thibault.

Il n'y a pas à dire, il faut qu'ils se rencontrent, ces deux là, qui n'arrêtent pas de se frôler dans l'errance sous la plume de Delphine de Vigan.  Il ne faut pas laisser Mathilde toute seule, avec son salopard de patron qui a décidé, sous le coup d'une vexation soudaine, de lui faire la peau, de l'enfermer dans un bureau près des chiottes où elle n'a plus rien à faire.Trop immonde, le boss en costard-cravate... Quand Mathilde, au prix d'un effort surhumain, parvient à le coincer au téléphone et qu'elle prend son ton le plus calme pour dire ce qu'elle a sur le coeur, le patron lui hurle, portes ouvertes pour que tout le monde entende: "Ne me parlez pas sur ce ton ! Je vous interdis de me parler comme ça, vous m'insultez !"...

Thibault aussi, il ne faut pas le laisser tout seul. Surtout depuis que ce médecin-urgentiste qui passe ses journées à courir dans tout Paris pour répondre aux malades en détresse s'est découvert une détresse encore plus incommensurable: la femme qu'il aimait ne l'aimait pas. Ou alors seulement au pieu. Elle a un peu l'air mesquin, cette douleur, par rapport à l'enfer de Mathilde, mais plus Thibault s'enfonce dans la ville, plus il se laisse dévorer par les embouteillages, les rhinopharyngites et les solitudes des autres, plus ça le détruit, Thibault, sa vie privée en lambeaux.

Alors oui, il faudrait qu'ils se rencontrent. Il faudrait que Mathilde sorte du métro, parce qu'un métro à l'heure de pointe, c'est parfois aussi infernal qu'une restructuration de service dans une entreprise. Dans les deux cas de figure, on pousse à un tel point l'instinct de survie qu'on peut en mourir, comme à France Télécom. Il faudrait que Thibault vienne à Mathilde, qu'ils tombent dans les bras l'un et l'autre, qu'ils appuient ensemble  sur la touche "pause", ou bien sur la touche "éject", histoire de dérober quelques minutes aériennes aux heures souterraines qui détraquent les horloges affectives.

 Il aurait fallu qu'ils se rencontrent, Mathilde et Thibault... Mais la ville va trop vite, ou alors ce n'était pas le bon moment. Ils se sont croisés en tout cas.Il l'a "reconnue". Il a perçu, quelque part, que c'était l'âme-soeur.C'est suffisant pour qu'une formidable bouffée d'espoir jaillisse de la livide clarté et de l'écriture au scalpel dont fait preuve Delphine de Vigan lorsqu'elle traque les violences silencieuses qui engraissent la ville-monstre.

Les heures souterraines, de Delphine de Vigan (Editions JC Lattès). Coup de projecteur avec l'auteur, le lundi 19 octobre, sur TSF JAZZ, à 8h30, 11h30 et 16h30 ,

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Les heures souterraines

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