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SUMMER WIND
FRANK SINATRA

Rewind & Play

Le dimanche 11 septembre 2022, par Laurent Sapir
Quand une interview ratée fait ressortir par contraste le génie d'un musicien... Avec "Rewind & Play", Alain Gomis nous fait découvrir un Thelonious Monk tour à tour au supplice et au-dessus de toutes les contingences, même les plus pathétiques.

Au début, tout va bien. Lorsque Thelonious Monk atterrit à Paris en décembre 1969, son épouse Nellie est à ses côtés. Radieuse derrière ses lunettes noires, elle est plus que jamais la béquille sur laquelle il s'est toujours appuyé, parlant pour elle et son homme à la fois. Lui se contente de sourire, énigmatique comme à son habitude, fumant dans sa barbe à la sortie d'un troquet, caressant un chien... Bientôt, ce sera le crépuscule sans Nellie.

Il vient pourtant de le jouer à la perfection, ce Crepuscule with Nellie dédié à sa moitié, sauf que Monk se sent soudain bien seul. Il faut dire que dans le studio où est enregistrée l'émission, un journaliste est en train de le mettre au supplice. On est un peu embêté parce que cet interlocuteur maladroit, sinistre et jazzeux au pire sens du terme n'est pas n'importe qui: Henri Renaud est lui aussi un pianiste de légende. Il connaît Monk par coeur et l'a souvent rencontré aux Etats-Unis tout en contribuant à sa notoriété en France mais là, dans ce studio de plus en plus étouffant, le musicien reconverti en présentateur quelque peu amateur ne fait pas du tout le job, et Monk ne comprend plus rien à ce qui se passe.

C'est sûr qu'interviewer l'auteur lunaire de Round' Midnight n'est pas une partie de plaisir. De là à lui infliger les questions aussi décérébrées que celles que lui pose Renaud... Ce dernier s'essaie à une sorte de "Monk pour les nuls", ciblant une audience mainstream avec des anecdotes ("Pourquoi avez-vous installé votre piano dans votre cuisine ? ") futiles qui ne composent en rien le portrait attendu. Il va même jusqu'à rappeler inélégamment à Monk que le public français, dans les années 50, n'a pas très bien réagi à sa musique "difficile"... Le pianiste bafouille un peu, cherche ses mots, rappelle que ce que c'était surtout son cachet qui était "difficile " à l'époque. On coupera la réponse au montage.

Ils sidèrent, ces rushs d'émission maudite que le cinéaste franco-sénégalais Alain Gomis (qui enrobait déjà d'une mise en scène toute musicale son très beau Félicité sorti en 2017...) a exhumés et dont il retravaille le rythme et la respiration. On n'a d'ailleurs jamais entendu Monk respirer de la sorte, une respiration angoissée, comme le sourire, coincé qu'il est par son intervieweur et en même temps ailleurs, transpirant de partout (sauf des mains...) face aux lumières des caméras alors qu'Henri Renaud, lui, ne transpire jamais. Il aurait de quoi, pourtant, à force de buter sur son texte et de vouloir donner l'impression du direct, jusqu'à dicter ses réponses à Thelonious Monk...

Deux pianistes désaccordés, donc... On pourrait n'en relever que l'aspect sordide si Alain Gomis ne ménageait pas également ces moments si purs où Monk est seul devant son clavier, jonglant avec ses doigts, ses silences et faisant résonner ce swing intérieur qui ne relève que de sa seule sensibilité et de son seul génie. Il est magnifiquement filmé, c'est déjà ça...

Rewind & Play, Alain Gomis, en "replay" sur le site d'Arte.  

 

 

 

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