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GOODBYE
CANNONBALL ADDERLEY/BILL EVANS

Le déménagement

Le vendredi 11 juin 2010, par Laurent Sapir
On va peut-être inventer une rubrique "main courante" à la radio, maintenant qu'on est en face d'un[...]
On va peut-être inventer une rubrique "main courante" à la radio, maintenant qu'on est en face d'un commissariat... Bastille n'est plus tout à fait Bastille. Le 33 du Faubourg Saint Antoine s'éloigne dans le rétro avec son ascenseur omnibus, son toit-roi du monde ou encore sa jolie cour champêtre derrière le porche qui attirait même certains touristes de temps en temps... Il va donc falloir se passer, désormais, du petit snack juste à côté avec les deux croissants à un euro. Il va falloir faire sans le crêpier pakistanais qui fait l'angle de la rue de la Roquette, sans l'ex-FNAC qui faisait tellement bien raccord avec la musique qu'on aime... 11 ans passés là, au 33, depuis ce jour de l'été 99 où 10 ploucs de Bobigny sont venus faire leur plan-incrust dans le temple de la branchitude parisienne... Je me rappelle qu'à la terrasse de Bastille le café coûtait 14 francs (il n'y avait pas encore l'euro) et que les ploucs en question se demandaient vraiment dans quel quartier ils avaient débarqué...  C'est ainsi que TSF, qui n'osait pas encore s'appeler TSFJAZZ, s'est scotché à Novaland... Ils avaient un visage bien humain, finalement, les branchés qui nous effarouchaient tant... 11 ans passés là, au 33...  Flash info 18h50, mode affreux jojo puisqu'on est sur Nova. Changement de masque 10 minutes après, avec le top sérieux journal de 19h sur TSFJAZZ... Quelques lignes raturées, dites ici et qui ne se disent pas là, quand quelques mètres seulement séparent les deux studios. Les ploucs sont devenus caméléons, les rires ont tout emporté, ainsi que cette furieuse envie de faire de la bonne radio sans se brimer... La fréquence de la note bleue a vécu ensuite sa propre histoire. Dans notre studio si bien croqué et photographié par l'ami David Koperhant dans le blog d'à côté, les posters des dieux du swing sont venus recouvrir d'antédiluviens graffitis, les Archie Shepp, les Quincy Jones, les Mal Waldron nous ont donné plein de frissons, mais là encore, il raconte ça mieux que moi, David... Les beaux moments, finalement, force est de reconnaître que les deux radios du 33 (auxquelles est venue s'ajouter la petite dernière, Africa) les ont un peu vécus chambre à part...  C'est au moment des épreuves, en revanche, que ça s'est soudé grave, dans l'immeuble... "Moments de faiblesse", gloomy sundays, putain de camions, tsunamis hertziens... Même délocalisé au 127, le studio Marc-Alexandre Millanvoye portera toujours l'emprunte d'un ange des ondes qui s'est arrêté un "31" alors que son grand mix de tendresse et d'impertinence en faisait un être d'exception...  Nous étions encore tous là, un autre dimanche, silencieux, malheureux, complètement à poil côté tripes, quand le 33 s'est retrouvé orphelin... L'immeuble venait de perdre son rôdeur en chef, son brigand imperator... Jean-François Bizot l'habitait de son fumet aigre-doux, de ses ferments jamaïcains et de ses syllabes underground tour à tour syncopées (jazzées ?)  dans le grognement, le murmure ou alors la grande tornade de rire... C'est la nuit, surtout, qui a morflé... Plus de Marca, plus de Bizot, croisés à la tombée du jour pour foutre un peu de poésie et de boxon dans notre quotidien... Au 127 de l'avenue Ledru-Rollin, notre nouvelle adresse, je laisse aux amateurs de carte postale la terrasse panoramique, l'ascenseur omnibus et la petite cour champêtre, mais je garde mes fantômes, car sans eux, ça risque d'être un peu dur de fabriquer de l'avenir.
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