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L'Apollonide, souvenirs de la maison close

Le lundi 12 septembre 2011, par Laurent Sapir

C'est évidemment le grand film de la rentrée : deux heures d'étourdissement et d'émotion pure, une densité narrative rarement vue dans le cinéma français, un alliage explosif de romanesque et de conceptuel, des choix esthétiques carrément viscontiens mais qui rappellent aussi la "Vénus Noire" d'Abdellatif Kechiche... Avec "L'Apollonide, souvenirs de la maison close", présenté en sélection officielle au dernier festival de Cannes, Bertrand Bonello signe à la fois son long-métrage le plus ambitieux et le plus accessible. Un film qui, longtemps encore après la projection,  vous trotte dans le coeur comme le parfum enivrant de ces filles de joie échappées d'un tableau de Renoir et dont un réalisateur maniant à merveille le clair-obscur aura su à la fois capter les ombres et la lumière.

Car tout est d'abord affaire de contrastes dans cette évocation d'une maison close dans les années 1899-1900. Démultiplié jusqu'au spit-screen (cette technique qui permet de diviser l'écran en quatre), l'espace dans lequel se déploie le film est d'abord le théâtre d'une cohabitation entre les salons capiteux pour bourgeois désoeuvrés et la maison close comme prison avec ses barres aux fenêtres, ses couloirs oppressants et ses combles sordides ou dorment les filles. La luxure, évidemment, ne se résume pas qu'au luxe, et l'unique et magnifique séquence tournée en extérieurs - un pique-nique en bord d'étang- accentue encore d'avantage, paradoxalement, cette ambiance carcérale régentée par une mère-maquerelle (impeccable Noémie Lvosky) qui sait très bien faire la part des choses entre l'élan compassionnel et le sens des affaires.

C'est dans ce dégradé entre le velouté et l'âcreté, et sans jamais tomber dans le glauque ou le folklo Belle époque, que Bertrand Bonello cisaille soudainement le rythme du film avec la séquence de la prostituée au visage défiguré. Suggérée plus qu'assénée, la violence de l'acte donne surtout à voir la façon avec laquelle les filles, autour de la victime, se rassemblent et forment une sorte de corps collectif à la manière des esclaves noirs. Et quand l'une d'elles meurt de la syphilis, c'est tout naturellement qu'en guise de chant funèbre on entend une mélopée des champs de coton, comme en écho à d'autres morceaux de blues ou de musique soul qui viennent transcender une B.O particulièrement bien inspirée.

D'autres éclats, encore... Les larmes de sperme qui coulent sur le visage de l'une des filles et qu'un Bunuel du 21ème siècle aurait parfaitement pu reprendre à son compte, la scène de la visite médicale qui résume à elle seule ce qu'un ordre social peut avoir de plus implacable, ou encore cette séquence où Hafsia Herzia, l'inoubliable héroïne de "La graine et le mulet", fond en larmes quand elle découvre un livre qui compare les prostituées à des êtres dénués de toute intelligence... Qu'elles sont craquantes et déchirantes, les filles de "L'Apollonide...", et quel beau chant de liberté Bertrand Bonello à composé pour elles...

L'Apollonide, souvenirs de la maison close, de Bertrand Bonello (Sortie en salles le 21 septembre) Coup de projecteur avec le réalisateur le 19 septembre, sur TSFJAZZ, à 8h30, 11h30 et 16h30

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