Ernest Cole, photographe

Malgré une BO d'enfer (Miriam Makeba, Duke Ellington), Raoul Peck ne dispose pas du matériau biographique suffisant pour éclairer la trajectoire du photojournaliste sud-africain Ernest Cole qui a fini par sombrer dans le dénuement à New-York.
Cinéaste de combats, notamment face aux assignations raciales et aux mentalités coloniales (I Am Not a Negro, Exterminez toutes ces brutes !...), le documentariste Raoul Peck a voulu retracer un destin aussi méconnu qu'emblématique: celui d'Ernest Cole, considéré comme l'un des premiers photo-journalistes noirs. Né en 1940 en Afrique du Sud, Cole documente l'Apartheid dans un ouvrage majeur publié en 1967, La Maison des servitudes, avant de s'exiler aux États-Unis. Sa trajectoire prend alors un tour particulièrement malheureux. Il sombre dans la solitude, le dénuement et meurt dans l'oubli à seulement 50 ans.
Il semblait aisé a priori d'entrer de plain-pied dans cette épopée rythmée par une B.O de toute beauté: Fleurette africaine de Duke Ellington, Blue Stompin par Hal Singer, mais aussi l'incontournable Miriam Makeba avec Milele. Ce n'est pas non plus tous les jours qu'un film cite le nom de l'immense pianiste sud-africain Abdullah Ibrahim, qui fut un proche d'Ernest Cole... Sauf que le récit échoue, sans doute par manque de matériau biographique, à nous donner les clés de la déchéance d'Ernest Cole après son exil. A-t-il à ce point souffert des illusions du "monde libre", réduit au statut de "photographe pour noirs", lui qui rêvait d'être un nouveau Cartier-Bresson ? Le contact avec d'autres enfers raciaux, notamment au sud des États-Unis, a-t-il été autant destructeur ?
Le film effleure ces problématiques sans vraiment nous faire comprendre ce qui abîme définitivement son héros. La douleur de l'exil s'y exprime en des termes trop généraux et l'expression "mal du pays", souvent répétée, finit par ne plus faire sens, surtout lorsque il nous est suggéré que ce "mal du pays" eut été moins subi si Ernest Cole avait rencontré l'âme sœur sur le sol états-unien. Encore plus déroutant, l’épisode de la banque suédoise où seront découverts après sa mort près de 60 000 négatifs et photos signés Ernest Cole, lequel a vécu quelques années à Stockholm. Le récit tourne alors au thriller d'autant plus factice qu'il en reste au stade des interrogations:. Comment ces clichés se sont-ils retrouvés là ? Qui a financé le dépôt ?
Tous ces pointillés entraînent une forme de lassitude que Raoul Peck tente de compenser en nous ramenant aux réalités sud-africaines, mais en mode patchwork: réalité de l’Apartheid, campagnes de boycott, commission réconciliation/vérité etc... Le cinéaste tente également de redonner vie à son sujet en parlant à sa place, à la première personne, du moins dans la version française mais là encore, le pari trébuche sur un timbre haché, démonstratif et manquant de modulations. Ne restent que les photos elles-mêmes, la force de ce qui advient sur pellicule, l'œuvre si importante... On aurait aimé davantage rencontrer son auteur.
Ernest Cole, photographe, Raoul Peck (Sortie en salles le 25 décembre)