Vendredi 7 novembre 2025 par Laurent Sapir

Ce que cette nature te dit

Un jeune poète rencontre la famille de sa compagne, mais cela ne se passe pas exactement comme prévu. Tour à tour nonchalant et féroce, le nouveau Hong Sang-soo est alcoolisé comme il se doit.

 

C’est toujours une séquence délicate : roucoulades, cachotteries, balades et complicité à deux… Sauf qu’il faut bien, à un moment ou à un autre, sacrifier au rituel tant redouté — la rencontre avec la famille de votre amoureuse (ou de votre amoureux). Alors on croise les doigts, espérant relever haut la main l'examen de passage tout en s’efforçant de ne pas trouver haïssables le père, la mère, la sœur et l’éventuel chaton favori de la belle-famille. C’est ce motif mi-sociétal, mi-sentimental que le prolifique Hong Sang-soo brode à sa manière — autrement dit, tout en langueur et en ironie — dans ce qui constitue son 33e long-métrage.

Le mode opératoire, la visite à l'improviste, va de soi dans le monde de Hong Sang-soo. Après trois ans de vie en couple, comme s'ils avaient retardé l'échéance au maximum, Dongwa, poète trentenaire, se décide enfin à franchir le seuil de la maison de campagne où a grandi son amoureuse, près de Séoul. Rien de prémédité : il la raccompagnait chez elle et c'est par hasard qu'ils sont tombés, en plein après-midi, sur le père de la jeune femme : "Mais vous resterez bien dîner chez nous, cher ami ! Mon épouse est un vrai cordon-bleu, vous savez ! ".

Malgré son vernis rohmerien, l'ambiance devient vite piégeuse. Beau-papa paraît faire une fixette sur la voiture d'occasion du compagnon de sa fille; il propose même de l'essayer, tout en se demandant pourquoi Dongwa roule dans une telle guimbarde. S'ensuivent quelques discussions tout en aplat, un détour sur une colline filmée avec la même absence de relief, d'autres civilités devant quelques poules, puis la rencontre d’une frangine aussi étrange que vaguement dépressive. Ce n'est pas pour dire, mais l'apéro traîne un peu en longueur.

Une douce et fugace musicalité de l'instant désengourdit heureusement les paupières. À moins que le spectateur n'ait déjà pressenti la tournure prise par le dîner. L'alcool aidant, et sous le regard à présent de belle-maman, Dongwa perd son calme - surtout lorsqu'on le renvoie à son profil de poète insouciant, protégé par son père fortuné. Pas sûr qu'il arrange son cas en dévoilant à haute voix le contenu de sa prose... Quelques confidences nocturnes entre les deux parents de la jeune femme règleront, après coup, le sort de l'impétrant. Le voici réduit à voir flou, comme dans le plus mystérieux In Water. À défaut d'avoir livré son œuvre la plus magnétique (Isabelle Huppert jouant de la flûte dans La Voyageuse, c'était quand même bien plus charmeur...), Hong Sang-soo signe l'un de ses fameux films-entracte, tout aussi révélateur de son univers — même dans le registre du soit dit en passant.

Ce que cette nature te dit, Hong Sang-soo (en salles depuis le 29 octobre)