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DON'T STOP TILL YOU GET ENOUGH
ANTHONY STRONG

Vol spécial

Le mardi 27 mars 2012, par Laurent Sapir

Joli nom pour une prison. D'ailleurs, le centre de rétention administrative de Frambois, à Genève, ne ressemble pas vraiment à une prison. A Frambois, on ne parle pas de détenus mais de pensionnaires. On dit "menottes" et non pas "bracelets". Le cadre est plutôt sympa et les gardiens sont des anges d'humanité. C'est du moins l'impression qu'ils veulent donner.

A part ça, Frambois, c'est l'enfer (il peut durer jusqu'à 18 mois !), l'antichambre de la torture pour des dizaines de clandestins à qui on a promis "l'issue fatale", comme dans les quartiers des condamnés à mort aux Etats-Unis. Ils savent, ceux à qui on a refusé l'asile, qu'ils ne ressortiront de là que pieds et poings liés, expulsés vers un pays où ils ne veulent pas aller, condamnés à ce fameux vol spécial qui, parfois, peut très mal se terminer.

La caméra de Fernand Melgar est implacable. Sans surligner, sans recadrer, sans recours également à la moindre musique d'ambiance, elle dit l'innommable. Les sans-papiers parlent à visage découvert, pour qu'on ne les oublie pas. Le personnel du centre parle également à visage découvert, pour qu'on sache  à quel point c'est un personnel aimable, altruiste, "civilisé"... "Vous savez, on est aussi triste que vous", balance le directeur du centre à ceux qui restent alors que cinq ou six de leurs compagnons d'infortune ont été expédiés manu militari à l'aéroport.

Elle fait honte à voir, cette façon d'être "civilisé". On n'y croit pas un seul instant, à l'humanité de ses gens là... Plus c'est propre, en fait, plus c'est sale à l'écran... Plus le film avance, plus la Suisse ressemble à une prison à ciel ouvert, entre les grilles et les avions qui décollent... Et dire que certains ont taxé ce film de fasciste, au dernier festival de Locarno, sous prétexte qu'il donnait trop le beau rôle aux gardiens de Frambois. Ceux là décidément n'ont rien compris. Ceux là ne savent pas à quel point une écriture cinématographique, lorsqu'elle est à ce point maîtrisée au scalpel, peut démasquer bien des postures...

"Vol spécial", de Fernand Melgar (Sortie en salles le 28 mars). Coup de projecteur le même jour avec le réalisateur, sur TsfJazz (7h30, 11h30, 16h30)

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