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NO FOOLS, NO SWINGS
GERARD BADINI

Une histoire d'amour radioactive

Le jeudi 03 juin 2010, par Laurent Sapir
C'est le seul auteur lisible dans le roman noir hexagonal, mais ce n'est pas une raison pour fermer[...]
C'est le seul auteur lisible dans le roman noir hexagonal, mais ce n'est pas une raison pour fermer les yeux sur ce qui est peut-être son  premier moment de faiblesse... " Une histoire d'amour radioactive", 4ème opus d'Antoine Chainas, met en scène deux flics homos qui tentent de mettre un terme aux "exploits" de la fille d'un irradié de Tchernobyl... La jolie dame, sans doute pour venger son père, prend un malin plaisir à cancériser des cadres de grande entreprise en s'accouplant avec eux dans des salles de radiologie... La contagion à-ce-propos n'est pas que mortifère, vu l'état d'euphorie dans lequel sont plongées les victimes, du moins dans un premier temps... L'affaire fonctionne sur deux niveaux narratifs:  l'un des deux policiers raconte à fois son enquête mais aussi sa passion amoureuse pour son jeune adjoint, tandis que le lecteur est amené à suivre en parallèle le destin de l'une des victimes, baptisée "DRH", et qui n'hésite pas à remettre en cause tout son vécu (aussi bien professionnel que familial) au contact de sa meurtrière... Le Chainas que l'on aime et le Chainas que l'on aime moins se partagent très vite les rôles... Dans la première catégorie, on peut évoquer cette fulgurante noirceur de la plume, la putréfaction des âmes dans une mécanique des fluides ravageant tous les corps qui passent à portée de l'auteur, sans oublier l'horreur économique dans laquelle s'enlisent la plupart de ses personnages... Quel bonheur d'écriture, ce DRH à la prostate vacillante, soudainement délivré de ses graphiques lui servant à rayer des usines de la carte et qui, "irradiant" de bonheur pour le meilleur et surtout pour le pire, en vient à frapper son mollasson de fils lors d'un footing d'anthologie... Là où le bât blesse, c'est, encore une fois, lorsqu'Antoine Chainas se laisse déborder par son tempérament fleur bleue... Dans les racines du mal, il excelle. Dans les méandres du coeur, il piétine, et pour la première fois, ce sont ses enquêteurs qui en font les frais... On avait adoré Casanova le sexopathe, l'infernal et carnassier Major Nazutti, ainsi que Désiré St Clair, ce démon impassible rendu insensible à toute douleur... Javier et Plancher, eux, sont beaucoup moins excitants malgré le sentimentalisme torride que Chainas instille dans leurs ébats nocturnes... Le thème de l'homosexualité était déjà présent dans " Versus", mais de manière beaucoup plus subtile... Cela peut sembler plus accessoire, mais le procédé calligraphique qui restitue le récit de DRH en lettres normales et les tourments des deux enquêteurs en italique n'est guère convaincant... Les deux récits s'emboîtent finalement de façon artificielle, ce qui diminue l'intérêt de l'enquête... On l'aura compris, le 4ème roman d'Antoine Chainas n'est pas notre préféré, même si l'auteur reste au sommet de son art dans le déploiement d'un univers personnel qui fait toujours honneur au roman noir à la française... "Une histoire d'amour radioactive", d'Antoine Chainas (Collection Série Noire/Gallimard)
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