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GONE WITH THE WIND
STAN GETZ

Quitter le monde

Le dimanche 17 mai 2009, par Laurent Sapir

La plume de Douglas Kennedy se faufile entre les malheurs de Jeanne. Dispositif astucieux, qui permet à l'écrivain d'envoyer constamment son héroïne dans le mur tout en lui ménageant des rebonds spectaculaires. Jeanne, du coup, est une fresque à elle toute seule.

Dans "Quitter le monde", l'auteur la saisit, au soir de son 13ème anniversaire, lorsqu'elle lâche à ses parents, qui ne cessent de se disputer,  qu'elle ne se mariera pas et n'aura jamais d'enfants... Apparemment marqué par la lucidité de sa gamine, le père prend ses cliques et ses claques. Il finira escroc, quelque part en Amérique Latine... Entre temps, Jeanne aura eu tout le loisir de culpabiliser sur les conséquences de sa tirade initiale.

Il faut dire qu'autour d'elle personne ne lui remonte vraiment le moral: une mère qui s'enferme dans sa carapace puis dans sa maladie, un prof d'université dépressif, des financiers sans pitié, un cinéphile complètement décalé et qui n'aurait jamais dû être son compagnon... Les déceptions, les échecs puis le drame absolu, confortent effectivement Jeanne dans sa volonté de "quitter le monde "... Mais voilà, même le suicide, elle le rate... C'est de l'autre côté de la frontière, dans la langueur canadienne de Calgary, que Jeanne trouvera finalement sa raison d'être, au détour d'un fait-divers dans lequel elle va jouer un rôle surprenant.

Dans la frénésie comme dans l'arrêt sur image, Douglas Kennedy cumule les performances. Le rythme de son récit annonce un énième best-seller, mais le romancier américain sait aussi, comme à son habitude, prendre son temps pour dessiner des personnages complexes. Jeanne est à la fois brillante et impossible... Hyper sensible et en même temps retenant constamment ses émotions, elle a surtout une rage intacte qui semble être, finalement, la première explication à son incapacité à fuir et à s'enterrer quelque part.

À travers elle, Douglas Kennedy continue également à nous dire deux ou trois vérités sur cette Amérique où il reste pratiquement ignoré. Sa peinture des milieux universitaires est d'une acuité comparable à celle d'un David Lodge. Il fait mouche, par ailleurs, lorsqu'il décrit un univers où plus personne n'a de secrets et où il suffit de taper "google " sur un ordinateur pour connaître les CV les plus intimes... Passant d'un genre à l'autre (drame psychologique, road-movie, chronique sociale, thriller...) avec un appétit romanesque qui fait plaisir à lire, Douglas Kennedy nous laisse néanmoins un petit regret : le seul jazzeux du livre n'est pas vraiment un personnage très aimable... Pour un fan de Brad Meldhau comme lui, il y a là comme une malicieuse anomalie qui devrait être réparée, nous a-t-il promis au micro de TSF, dans ce qui sera son prochain roman...

"Quitter le monde", de Douglas Kennedy (Editions Belfond). Coup de projecteur avec l'auteur le mardi 19 mai à 8h30, 111h30 et 16h30.

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