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Mudwoman

Le lundi 14 octobre 2013, par Laurent Sapir

Avec "Ladivine", de Marie Ndiaye, c'est l'autre grand roman de l'année sur les dessous vacillants de la psyché féminine. Dans "Mudwoman", Joyce Carol Oates met en scène, elle aussi, ces liens du sang qui entravent et absorbent l'âme ainsi que cette fausse contenance craquelant de toute part quand survient l'inattendu, tel un maquillage qui, en séchant, fonce comme de la boue.

Dame de boue, donc... Dame de boue voulant rester debout dans cette Amérique de l'après 11-septembre dont le climat oppressant n'est pas anodin lorsque Meredith Ruth Neurkiche, première femme à diriger une grande université américaine, s'embourbe dans une féroce dépression. Face aux caïmans néo-conservateurs, aux luttes de pouvoir et aux sponsors peu scrupuleux, l'esprit de M.R. -c'est ainsi qu'elle se fait appeler- s'envase dans les marais boueux où sa folle de mère l'a abandonnée quand elle était bébé.

Elle excelle dans le gothique, Joyce Carol Oates. Un faible d'esprit au look de trappeur arrache le bébé à la boue après avoir été alerté par un mystérieux roi des corbeaux (les mêmes corbeaux, peut-être, que chez Marie Ndiaye dans "Trois femmes puissantes")... Mudgirl, qui n'est pas encore Mudwoman, tombe alors sur une famille de braves gens un peu rustres avant d'être adoptée par un couple de quakers qui, à défaut de réelle chaleur humaine ("Le matin, ce n'était pas les cris ardents et sauvages des corbeaux qu'elle entendait, mais le tic tac méthodique de l'horloge, le son froid et argentin de ses sonneries"...), lui transmettent une ferveur morale et des idéaux progressistes mis à rude épreuve, plus tard.

Le roman alterne avec brio le passé sauvage de M.R. et sa solitude glacée dans le campus qu'elle dirige. "Du Edgar Allan Poe chez David Lodge", selon la belle formule de l'écrivain et essayiste Michel Schneider dans "Le Point"... Walkyrie rayonnante, M.R. se détruit peu à peu, embarquée dans ses aliénations, ses démangeaisons et ses cauchemars que l'auteur prend un malin plaisir à entremêler avec le réel. Son amant astronome lui est de peu de secours. Le type vit dans ses nébuleuses lointaines. Une sorte d'éther coule dans ses veines.

Magie noire, odyssée existentielle, tragédie américaine... "Mudwoman" confirme également, chez l'auteur de "Blonde", une radicalité féministe irréductible aux représentations officielles de ce courant de pensée.  Dans ce domaine ("Préparée, je dois être préparée", peut-on lire en exergue à plusieurs chapitres...) comme dans d'autres, Joyce Carol Oates envoûte ses lecteurs telle unespan style="color: #000000;"> magistrale prêtresse du refoulé mettant à bas tous les masques que son imaginaire littéraire lui propose.

"Mudwoman", de Joyce Carol Oates (Editions Philippe Rey). Coup de projecteur avec le romancier et critique Michel Schneider, sur TSFJAZZ (12h30), ce jeudi 17 octobre.

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