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Les Amandiers

Le mardi 22 novembre 2022, par Laurent Sapir
Quand Patrice Chéreau formait de jeunes comédiens à Nanterre dans les années 80... Malgré une ossature centrale qui épuise vite ses charmes, Valeria Bruni-Tedeschi trouve le flux et l'esprit de troupe qui font de ses "Amandiers" un beau condensé des années 80.

La façade rouge des Amandiers, les arbres autour, le grand parc à côté... Pour y avoir tant traîné nos guêtres quand Jean-Louis Martinelli était encore aux manettes avant d'être viré comme un malpropre par la ministre de la Culture de l'époque, l'odieuse Aurélie Filippetti, on est d'emblée happé par l'épopée que propose Valeria Bruni-Tedeschi. Elle traite cependant d'une période plus ancienne. Le théâtre de Nanterre était alors dirigé par Patrice Chéreau. Mises en scène d'anthologie, genre Combat de nègre et de chien, de Koltès, mis en musique par Duke Ellington. On aurait tant aimé voir ça. On eut droit, hélas, qu'à un retour mezzo voce de Chéreau à Nanterre, cinq ans avant sa disparition: La Douleur, de Marguerite Duras. C'était minimaliste et assez décevant.

Le minimalisme, heureusement, n'a jamais droit de cité chez Valeria Bruni-Tedeschi. Ultra-expressive devant comme derrière la caméra (mais pas en interview...), elle fait renaître ici avec fougue la promotion de l'école d'acteurs dont elle fit partie en 1986 sous la direction de Chéreau en compagnie d'autres grands noms alors inconnus: Agnès Jaoui, Vincent Perez ou encore Bruno Todeschini... On brûlait alors les planches, la vie et les feux rouges. On chantait du Balavoine ou encore Andy des Rita Mitsouko. Un nuage inquiétant s'échappait de Tchernobyl. Le Sida rodait, la drogue circulait, comme le désir, hétéro ou pas. Cela s'appelait les années 80.

Valeria Bruni-Tedeschi en offre un condensé gorgé de frénésie sans pour autant idéaliser cette jeunesse perdue ni lui inventer des bonheurs superflus alors que l'époque est déjà bien tragique. La réalisatrice mise également avec bonheur sur l'esprit de troupe là où Chéreau passait d'abord pour un gourou. Même la recalée de la promotion reconvertie en serveuse crève l'écran via Suzanne Lindon, la fille de Vincent Lindon et Sandrine Kiberlain.

On sera plus réservé, hélas, au sujet du binôme principal tant la romance mortifère mais convenue entre la jeune bourgeoise friquée (Nadia Tereszkiewicz, pile électrique dépourvue de tout mystère...) et le drogué ténébreux (Sofiane Bennacer qui en fait des tonnes genre animal blessé...) épuise rapidement ses attraits. Si touchante soit sa composante autobiographique, ce versant du film le déséquilibre sur le plan rythmique. Mêmes réserves au niveau de la transe qui caractérise parfois certaines scènes. On sait que c'était là le régime théâtral auquel Chéreau soumettait ses interprètes, mais fallait-il forcément le doublonner en dehors de la scène ?

La question peut d'autant plus se poser que dans le rôle du directeur des Amandiers, Louis Garrel offre au contraire une vision toute en nuances de son personnage. On a suffisamment fait preuve de sévérité envers ce comédien pour ne pas saluer ici la justesse et l'inventivité dont il fait preuve. A rebours de toute imitation de Chéreau, l'acteur humanise les travers du démiurge, sur les planches ("On ne peut pas être démocratique quand on fait une distribution ") comme en dehors, lorsque par exemple il se drogue à visage découvert ou qu'il abuse de l'un de ses étudiants. Sauf qu'au final, on retient surtout un autre de ses gestes, cette pression caressante sur l'épaule de son interprète en larmes dans les coulisses d'une première pour qu'elle trouve la force de jouer sur scène. L'émotion, alors, nous submerge.

Les Amandiers, Valeria Bruni-Tedeschi, sélection officielle à Cannes. Le film est sorti le 16 novembre.

 

 

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