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Rifkin's Festival

Le mardi 19 juillet 2022, par Laurent Sapir
Présenté comme son avant-dernier opus, le nouveau Woody Allen, "Rifkin's Festival", est irrigué d'une sincérité rageuse, crépusculaire (même sous le soleil de San Sebastian...) et étonnamment inédite, contrairement aux procès en rabâchage dont le cinéaste fait l'objet.

Le soleil brille à San Sebastian, au cœur du pays basque espagnol, mais c'est bien à un crépuscule auquel on assiste. Celui d'un certain type de personnage "allenien" faussement campé dans l'auto-dénigrement pour mieux afficher le profil autocentré du séducteur mature à qui personne ne résiste. Changement de posture, soudain, à la faveur d'un génial choix de casting. Rondelet et dépenaillé, Wallace Shawn, silhouette familière entrevue notamment dans Radio Days, campe le plus raté des New-Yorkais.

On ne donne pas cher du couple que ce prof de cinéma forme avec sa jeune épouse, une attachée de presse qu'il a tenu à accompagner dans un festival européen. Tout aussi douteuse, la possibilité pour notre vieux schnock dopé aux grands classiques des années 60 de revitaliser sa libido au contact d'une splendide doctoresse (Elena Anaya) qu'il entreprend de revoir en mode hypocondriaque. La romance ne dépassera jamais le stade de la roucoulade. Que peut espérer d'autre cet alter ego si déprécié qui partage les mêmes obsessions que Woody Allen ("Seul un juif peut imaginer faire un procès à Dieu – Seul un juif aurait un dossier en béton…") tout en les caricaturant dans une jovialité béate et surfaite, ou encore dans des rêves aussi ringards que saugrenus basés sur des scènes cultes empruntées à Fellini, Bergman et Truffaut ?

Que ce segment du film devienne de plus en plus envahissant sans vraiment tenir la distance importe peu. Seule compte la gestuelle aquoiboniste aussi rageuse que lucide du personnage principal, son renoncement sans bruits de vaisselle cassée face à ce que devient son couple, ainsi que l'empathie qu'il finit par témoigner envers sa nouvelle et éphémère partenaire une fois admis le caractère platonique de leur relation. Quel contresens dès lors que d'évoquer un énième rabâchage de la part de Woody Allen ! Le canevas demeure, mais les codes ont changé. Ostracisé pour de bonnes ou de mauvaises raisons, le cinéaste octogénaire n'a plus à donner le change ou à convoquer tel ou tel processus d'identification. C'est désormais la fin proche et l'incapacité d'être à la hauteur de ce qu'on pensait être qui irriguent son univers.

Le personnage principal n'est pas le seul à faire les frais de ce nihilisme en sourdine. Dans la peau d'un jeune bellâtre prétentieux (ce qui pour lui n'est pas forcément un rôle de composition...), Louis Garrel pulvérise le mur du ridicule, ne serait-ce qu'à travers la scène franchement jubilatoire où il tape sur des bongos dans un club de jazz. À ce court mais vivifiant éloge de la fausse note font prodigieusement contrepoint la lumière de fin d'été, les couleurs vives et la mélancolie si ondoyante d'une ville comme San Sebastian quand un vieux cœur doux-amer, transi et débarrassé de toute illusion la découvre aux côtés d'une créature de rêve.

Rifkin's Festival, Woody Allen (le film est sorti le 13 juillet). À retrouver ici l'émission spéciale que lui a consacré sur TSFJAZZ Thierry Lebon, qui a interviewé le réalisateur.

 

 

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