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Bernard-Marie Koltès

Le dimanche 27 septembre 2009, par Laurent Sapir

Sa mort, son oeuvre... Voilà ce que nous pensions connaître de Bernard-Marie Koltès, auteur, entre autres, de Combat de nègre et de chiens, Dans la solitude des champs de coton, et Roberto Zucco,  emporté par le sida il y a tout juste 20 ans. Le théâtre français s'en trouva cratérisé, au même titre que la disparition soudaine, quelques années plus tard, de Jean-Luc Lagarce et Didier-Georges Gabily.

Bernard-Marie Koltès continuait à être joué, depuis, mais de lui-même nous perdions trace... Rien ou presque sur le web... Aucune archive sonore ou audio, très peu de photos. Il y eut, certes,  ce procès retentissant il y a quelques années, quand la Comédie-Française avait cru bon de faire jouer le serviteur algérien de l'une de ses pièces par un acteur non arabe, mais si feuilletonesque soit-il, l'épisode n'avait contribué qu'à épaissir encore d'avantage le mythe Koltès.

Dans la première biographie qui lui est enfin consacrée, Brigitte Salino, critique de théâtre au journal Le Monde, est partie elle aussi, à sa manière, de quelque chose qui a trait à la mythologie Koltès: il s'agit d'une simple photo, prise en juillet 1983, six ans avant sa mort à l'âge de 41 ans. Ce jour-là, écrit notre consoeur, "Bernard-Marie Koltès marche vers vous, et sourit. Il est long et mince, avec un casque de cheveux bouclés. Il porte un jean et un sweat-shirt à l'effigie du chanteur de Burning Spear, le groupe de reggae"... C'est cette photo en couv' qui emporte d'emblée le lecteur sur les traces de ce fils d'un officier de droite ayant grandi dans l'Est de la France avant de révolutionner la scène théâtrale.

Bernard-Marie Koltès était à vrai dire un dépoussiéreur de première. Avant lui, l'exploitation de l'Afrique, le colonialisme ou encore les marges extrêmes du capitalisme n'avaient pas droit de cité sur les planches hexagonales... Avec une cascade d'intuitions plus justes les unes que les autres et une pudeur jamais prise en défaut, Brigitte Salino donne à voir le reflet biographique en clair-obscur de cet univers... Elle s'approche de ses années de précarité qui ont probablement amené le plus célèbre dramaturge contemporain à se prostituer. Elle évoque un engagement au PCF qui n'avait rien d'anodin ni de ponctuel. Elle suit Koltès dans ses voyages, dans sa détestation du provincialisme le plus franchouillard ou encore dans son peu d'attrait pour les visages pâles, politiquement et esthétiquement parlant, jusqu' aux errances sexuelles inévitablement mortifères lorsque les années sida viendront les plomber.

 Et peu à peu se dessine un portrait mi-ange, mi-voyou...C'est le Caravan de Duke Ellington qui rythme la mise en scène de Patrice Chéreau à Nanterre au moment de Combat de nègre..., mais c'est Bob Marley et Marvin Gaye que Koltès préfère siffloter lorsqu'il traîne d'homme à homme, la nuit, dans les bas-fonds de Pigalle, comme pourrait le faire le bluesman-dealer de Dans la solitude... entamant sa célèbre intro: "Si vous marchez dehors, à cette heure et en ce lieu, c’est que vous désirez quelque chose que vous n’avez pas, et cette chose, moi, je peux vous la fournir"....

Ce qui se dessine, enfin, au fil des pages, c'est une sensibilité d'exception. Deux ans après une tentative de suicide léguée par ces multiples trous noirs dont les seventies étaient si prodigues, Bernard-Marie Koltès écrit à sa mère, soudainement veuve, que ce n'est pas grave d'avoir "mal aimé"... Dans cette expression, dit-il, on ne retient que l'adjectif, "mal", et "l'adjectif finit par tuer le verbe, et cela devient un contre-sens, et, comme cela est souvent le cas, on continue d'étouffer l'amour par le spectacle de ses expressions"... Trop fort, le type qui souriait sur la photo.

Bernard-Marie Koltès, de Brigitte Salino (éditions Stock). Coup de projecteur avec l'auteur le lundi 5 octobre, sur TSFJazz, à 8h30, 11h30 et 16H30

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