Eddington

Non dénué d'ampleur, du moins sur le papier, le "Eddington" d'Ari Aster s'abîme peu à peu dans un patchwork de tous les fléaux propres à l'Amérique contemporaine. Ce n'est pas la première fois que le réalisateur se laisse cannibaliser de la sorte.
Covid, vidéos complotistes, abus sexuels sur enfants, suprémacisme blanc, radicalités en mode woke... Il ne manque pas un bouton de guêtre aux cauchemars de l'Amérique contemporaine tels que Eddington les condense. Une colonne vertébrale, peut-être ? Ou alors un scénario digne de ce nom. Ari Aster, de fait, s'en passe aisément, reproduisant dans le genre western macabre un schéma déjà identifié précédemment: une bonne idée de départ accompagnée de la promesse d'une sacrée descente aux enfers avant qu'une complète absence de tenue ne finisse par absorber et cannibaliser le propos originel.
C'était déjà le cas de Beau is Afraid, odyssée psychotique autour d'un Joaquin Phoenix dépressif et paranoïaque. Comme son anti-héros perdu en pleine forêt et transformé en personnage de dessin animé, le spectateur finissait par sombrer lui aussi malgré une première partie feu d'artifice mi horrifique, mi burlesque en pleine jungle urbaine. Même gloubi-boulga dans Hérédité, pourtant si terrifiant au départ. Seul le plus resserré Midsommar, envoûtante chronique d'une pré-rupture amoureuse chez des illuminés païens de Scandinavie, respectait à peu près son cahier des charges.
La verdure idyllique et ensoleillée qui enrobait le film renforçait paradoxalement son déroulé horrifique. Rien de tel dans le patchwork sombre et glauque d'Eddington, cette ville du Nouveau Mexique où vont s'opposer un shérif asthmatique (Joaquin Phoenix) qu'il ne vaut mieux pas énerver, surtout lorsqu'on l'oblige à porter un masque en pleine pandémie, et un maire d'origine hispanique (Pedro Pascal) incarnant l'establishment politiquement correct. Emma Stone joue l'épouse du premier et l'ex-petite amie du second. Elle non plus ne va pas très bien, même si son double statut va faire office de poudrière avant la confrontation généralisée.
On se sera farci entre-temps des écrans de portables ou d'ordinateurs en rafale ainsi qu'une multitude de personnages tous plus inintéressants les uns que les autres, leur seule vocation étant d'alimenter la spirale de violences dans laquelle se complaît Ari Aster. Aucune idée forte ne vient par ailleurs irriguer ce récit saupoudré d'un pseudo-humour noir qui nous laisse de marbre, tout comme son final paroxystique dont même les supporters les plus indulgents du film reconnaissent que ce n'est pas forcément la partie qu'ils préfèrent.
Eddington, Ari Aster, en compétition au Festival de Cannes (en salles depuis ce mercredi 16 juillet)