Mardi 1 juillet 2025 par Laurent Sapir

L'Accident de piano

Métamorphosée en Youtubeuse infernale et anti-glamour à souhait, Adèle Exarchopoulos permet à Quentin Dupieux de signer l'un de ses films les plus sombres -et les plus réussis- sur les mirages de la célébrité.

 

Les claviers non tempérés -jusqu'à être portés dans le ciel par une grue- lui seraient-ils à ce point bénéfiques ? Avec L'Accident de piano, Quentin Dupieux signe l'un de ses récits les plus carrés au gré d'une intrigue tendue comme un thriller et dépouillée pour une fois de tout avachissement potache, même en mode destroy. La tentation de l'exercice de style façon Yannick (pour rester en haut de la fourchette...) semble avoir pareillement déserté les préoccupations du cinéaste dès lors qu'il  se résout à visser son art à un scénario implacable. Résultat: on ne s'est pas autant régalé depuis Le Daim et son cortège de noirceurs.

Un être amoral y faisait déjà un bien mauvais usage de son caméscope et aux côtés de Jean Dujardin, on craquait alors pour une première Adèle -Haenel en l'occurrence. C'est Adèle Exarchopoulos qui se filme à présent devant la caméra d'un réalisateur auquel elle a déjà offert deux prestations remarquées, notamment dans le déjanté bien qu'un peu indolent Mandibules. La comédienne campe ici une star du web disgracieuse à souhait (dentier indiscret, coupe de garçonne vaguement hirsute, allure voûtée et rire carnivore) qui commercialise des vidéos débiles où elle s'inflige diverses maltraitances et autres automutilations. Une maladie congénitale l'ayant rendue insensible à la douleur, Magaloche -ainsi se surnomme-t-elle- exploite ce don jusqu'à plus soif malgré une "leçon de piano" un peu trop improvisée. 

Elle n'a surtout n'a que mépris envers ses "followers" comme à l'égard de son entourage, jouissant de ses "qualités" de primate sans foi ni loi, sauf lorsqu'elle surprend l'agonie d'un corbeau. La conduite du récit met pourtant en lumière des êtres encore plus pervers, à commencer par son assistant (Jérôme Commandeur) aussi veule que profiteur. Si falot dans Le Roman de Jim, Karim Leklou excelle quant à lui en fan lobotomisé dépourvu en réalité du moindre sentiment, mais c'est surtout Sandrine Kiberlain qui est la mieux mise en valeur dans ce statut de nouvelle venue sur la planète Dupieux. Jouant de son image CSP+ abonnée à Télérama, le réalisateur dérègle les échos que renvoie la comédienne en lui faisant jouer une journaliste bien plus vénale qu'elle en l'air.

Le face-à-face entre l'intervieweuse et l'interviewée fournit au film le relief dramaturgique sans lequel le jeu de massacre aurait pu tourner en rond. Adèle Exarchopoulos l'enrichit d'un jeu aux mille nuances dans l'abrupt (notamment lorsqu'elle affirme ignorer qui est Steven Spielberg...) même si on la devine au final plus intuitive que régressive sur les mirages de la célébrité, thème de prédilection du réalisateur depuis un certain temps, et sur la vacuité mortifère d'un monde qui ne jure que par les réseaux sociaux. Pas forcément nouveau, le propos fait néanmoins mouche grâce à une férocité de traitement que n'aurait pas désavouée un certain Marco Ferreri même si le malheureux piano du film, quant à lui, tombe de très très haut.

L'Accident de piano, Quentin Dupieux, sortie en salles ce mercredi 2 juillet. Coup de projecteur le même jour sur TSFJAZZ (13h30) avec Adèle Exarchopoulos et Sandrine Kiberlain)