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THAD JONES / MEL LEWIS

Israel Confidentiel (The Gatekeepers)

Le dimanche 03 mars 2013, par Laurent Sapir

Leurs rides et leurs cheveux grisonnants ne pardonnent rien. Leur phrasé hébraïque non plus, comme si la douceur et la musicalité de cette langue la rendaient encore plus accusatrice quand le propos s'y prête.  Six anciens responsables du Shin Bet, le service de sécurité intérieure d'Israël, témoignent devant la caméra du réalisateur Dror Moreh, et ce sont les fondements mêmes de la politique menée par l'état hébreu qui sont cloués au pilori avec une efficacité bien plus redoutable que n'importe quelle harangue du Hamas.

Ces papys flingueurs, certes, ne remettent jamais véritablement en question le "job" pour lequel ils ont été employés. Leur pragmatisme, ils le cultivent presque à fleur de peau lorsqu'il s'agit de revisiter plusieurs décennies de coups tordus, d'interrogatoires musclés et d'assassinats plus ou moins ciblés. Sauf que le pragmatisme n'empêche pas la lucidité, surtout face aux questions polies mais implacables de Dror Moreh. Car lorsque le réalisateur demande à ses interlocuteurs pour quelle cause, dans quel but et en fonction de quel idéal ils ont agi ainsi, c'est toute l'impéritie et l'aveuglement de la classe politique israëlienne face à la question palestinienne qui se dévoilent au grand jour.

Cela commence avec un fâcheux problème d'intonation, dés 1967, quand des réservistes parlant mal arabe s'adressent aux Palestiniens des Territoires en leur annonçant qu'on vient les "castrer" au lieu de les "recenser"... Après, ce n'est plus seulement un problème d'intonation. Attentats, répression, Intifadas, implantations sauvages... "Nous sommes devenus cruels envers nous-mêmes et, surtout, envers une population", lance l'un des ex-patrons du Shin Bet. Un autre va même jusqu'à comparer Tsahal à la Wehrmacht pendant la 2e guerre mondiale.

Il y a aussi cette phrase-culte, "Quand tu quittes le Shin Bet, tu deviens un peu gauchiste", ainsi que toutes ces images d'archives qui résument avec une poignante intensité la nuit coloniale infligée à un peuple ayant décidé de se soulever et devant lequel les dirigeants israëliens (à l'exception d'un seul qui n'eut pas le courage d'aller jusqu'au bout de ce qu'il avait engagé et qui finira par le payer de sa vie...) fermeront les yeux. Projeté en Israël lors de la dernière campagne électorale, "Israel Confidentiel" ("The Gatekeepers", titre original) a profondément remué les foules, contribuant sans doute à limiter le glissement à droite du pays. On attend à présent le même type de documentaire en France. Mais est-il raisonnablement envisageable d'imaginer qu'en nos contrées, un jour, des barbouzes tricolores se transforment en messagers de la paix ?

"Israel Confidentiel (The Gatekeepers)", de Dror Moreh (Diffusion sur Arte, mardi 5 mars, 20h50)

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