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Faber le destructeur

Le lundi 21 octobre 2013, par Laurent Sapir

Sujet à thèse, Faber le destructeur ? Révélateur de génération sacrifiée, de France moisie et de classes moyennes en crise ? Faber, à vrai dire, vaut beaucoup mieux que ça. Surtout au vu de l'épiphanie romanesque dont le gratifie Tristan Garcia, lequel s'était déjà fait connaître avec "La meilleur part des hommes"... 

La meilleure part de Faber, tout destructeur soit-il, c'est d'abord la poignante pulsation qu'il martèle en notre for intérieur. Mornay, 1981. Cette ville de province imaginée par l'auteur a toutes les tares d'une cité maladive. C'est comme si elle avait la goutte, écrit Tristan Garcia, avant d'ajouter que Mornay a toujours l'air d'un jour pluvieux, surtout quand il fait beauMehdi Faber y débarque en classe CE2. Charmeur et surdoué, cet enfant de la DdAss n'est pas encore devenu la loque puante et eczémateuse éructant au début du roman avant qu'une série de retours en arrière ne restitue la splendeur passée du personnage.

Au départ, Faber est une promesse, un fils prodigue, un magnétiseur de tout ce qui l'entoure (les consonances étrangères de son prénom, personne n'y fait encore trop attention)... Dans le même élan, il détruit et vampirise. L'esprit canaille plutôt que le penchant looser, cette figure un peu usée à laquelle nos sociétés libérales ont conféré une sorte de niche esthétique. Et ce qu'on prend d'abord pour de l'espièglerie (le prof de maths privé de sa dose quotidienne de lithium...) trahit, de fait, un égo inquiétant ainsi que de redoutables démons intérieurs.

Il a d'ailleurs aussi le diable au corps, Faber. Jusqu'à bégayer quand une fille le déshabille. Jusqu'à la pénétrer de douleur à l'heure des premiers émois sexuels. Faiblesse du corps quand, soudain, il n'est plus enveloppé de charisme et d'aura christique. Autour du gamin devenu leader lycéen puis ange perdu de l'utra-gauche, Tristan Garcia force un peu les traits de Basile et Madeleine, les deux amis d'enfance de Faber. Officiers d'un culte qui finit par les damner, ces deux-là ne parviendront pas à grandir, le trio adolescent faisant place à une triade mortifère.

On est d'avantage titillé par un 4e personnage qui semble être le double rajeuni de Faber et qui porte, comme par hasard, le même prénom que l'auteur. Tristan Garcia a hésité, paraît-il, à introduire ce "témoin-acteur" qui risquait d'amincir "Faber..." au régime de l'autofiction. Le piège est joliment contourné, à l'instar des interprétations trop rapides que l'auteur s'amuse à déjouer, comme pour mieux dissoudre l'architecture théorique de son récit dans les illuminations du coeur.

"Faber le Destructeur", de Tristan Garcia (Editions Gallimard). Coup de projecteur avec l'auteur, sur TSFJAZZ, le jeudi 24 octobre (12h30)

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