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Comment le peuple juif fut inventé

Le dimanche 08 mars 2009, par Laurent Sapir

"Toute identité est une trajectoire", disait autrefois Michel Foucault. Shlomo Sand, figure de proue des nouveaux historiens israéliens, a repris cette devise à la puissance 2. Toute identité est un ensemble de trajectoires, pourrait-il écrire en exergue de Comment le peuple juif fut inventé, un essai qui fait grand bruit chez tous ceux qui tentent de regarder avec un oeil neuf les enjeux de la question israélo-palestinienne.

Ce n'est pas dans le "giron identitaire douillet" de la Bible, même expurgée de ces miracles, que l'historien s'essaie à retrouver les origines du judaïsme. Shlomo Sand préfère plutôt arracher de l'oubli d' autres "foyers juifs" qui n'avaient rien d'errants. Dans la lignée de l'écrivain anti-totalitaire Arthur Koestler, il ressuscite la "13e tribu", celle des Khazars convertis qui régnèrent de la Mer Noire à la Caspienne et dont on peut penser qu'ils enfantèrent ce qu'on devait appeler plus tard le Yiddishland. Le lecteur découvrira également le royaume d'Himyar, au Yémen, ou encore celui de la reine Kahina en terre berbère...  "N'y a t il aucune chance quune historiographie nouvelle recueille ces ancêtres juifs oubliés par leurs descendants ?", s'interroge Shlomo Sand...

Il faut hélas convenir avec l'auteur que l'historiographie sioniste officielle a soigneusement élagué l'arbre généalogique des temps anciens, réduisant l'ascendance juive à l'épopée des Hébreux en terre de Canaan... Et tant pis si, après 1967, certains archéologues échouèrent à retrouver la trace d'un quelconque royaume de Salomon en Cisjordanie occupée... C'était sûrement des esprits mal intentionnés. Shlomo Sand passe également au peigne fin tous les mythes qui ont modelé le nationalisme israélien (l'expulsion, l'exil, le soi-disant refus du prosélytisme...), comme d'autres fictions ont pu modeler d'autres nationalismes à haute teneur idéologique.

Avec une ironie mordante il relate comment le premier dirigeant israélien, David Ben Gourion, s'évertuait dans sa prime jeunesse à trouver des ascendances judéennes aux fellahs qui vivaient en Palestine avant de renoncer très vite à cette "ivresse orientaliste" lorsque le torchon commença à brûler entre Juifs et Musulmans. L'Histoire a continué, ainsi, à se plier aux exigences du politique. Il fallait forcément, écrit Shlomo Sand, que  "la conquête de la ville de David, en 1967,  soit menée par les descendants directs de la dynastie de  David et en aucun cas -o sacrilège- par les descendants de rudes cavaliers, enfants des steppes de la Volga, des déserts de la péninsule arabique, ou des côtes nord africaines.  Le Grand Israël un et indivisible avait besoin plus que jamais dans le passé d'un peuple d'Israël un et indivisible".

Faut-il dés lors désespérer d'Israël, au moment d'entamer les dernières pages de cet ouvrage accablant à bien des égards? Faut-il s'enfouir la tête sous l'oreiller lorsque Shlomo Sand évoque ces biologistes israéliens qui, aujourd'hui encore, en sont réduits à vouloir démontrer que les Juifs forment un peuple doté d'un ADN spécifique? Faut-il se résoudre à ces pauvres ministères et autres officines d'Etat qui, et pas seulement en Israël,  font de l'identité nationale un objectif en soi et non pas un point de départ vers la vie? Le succès de ce livre et les débats qu'il suscite au sein de l'opinion israélienne prouvent au contraire la vitalité d'une société où les forces laïques et démocratiques n'ont pas dit leur dernier mot, malgré un bien triste début d'année. Comment le peuple juif fut inventé rencontre également un certain succès en France, à tel point qu'il vient de recevoir le prix Aujourd'hui 2009, décerné par un jury qui comprend notamment des journalistes comme Jacques Julliard, Alain Duhamel, Franz-Olivier Giesberg ou encore Laurent Joffrin, autrement dit d'éminentes plumes qui ne passent pas forcément tous leurs week-end à manifester pour Gaza...

Comment le peuple juif fut inventé, de Shlomo Sand (Editions Fayard) Coup de projecteur avec l'auteur, mardi 17 mars à 8h30, 11h30 et 16h30

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