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301 (l'autre album posthume d'E.S.T)

Le lundi 16 avril 2012, par Laurent Sapir

C'est vrai qu'on n'en menait pas large, ce soir là, dans le studio de TsfJazz. Prenant le relais des infos de 19h, Sébastien Vidal s'emparait du micro pour prévenir les auditeurs qu'on allait leur balancer 11 minutes de musique non-stop et pas n'importe quelle musique. Plutôt celle qu'on passe d'habitude à deux ou trois heures du mat'. Et là, silence, recueillement... Un piano dans la nuit, une basse qui suit tout en ondoiements sismiques, la batterie pulsant comme un coeur qui bat...

On était trois, dans le studio, ce soir là. L'ami David Koperhant, qui a déjà chroniqué ce moment rare dans son blog ("le plus doux larsen que vous n'ayez jamais entendu"), nous rejoignait alors qu'une sorte de choeur enveloppait le morceau, tel un oratorio crescendo. Titre du morceau, "Inner City, City Lights", extrait de 301, l'autre album posthume du trio suédois E.S.T. Janvier 2007. C'est l'été en Australie. 18 mois avant de plonger dans l'archipel de Stockholm pour ne plus jamais remonter à la surface, Esbjorn Svensson se lâche une dernière fois avec Dan Berglund et Magnus Östrom dans le mythique studio 301 de Sydney.

Dans la torpeur qui suit l'annonce de la disparition brutale du pianiste, il en résultera "Leucocyte", ultime galette gorgée de ténèbres et de sonorités angulaires qui déroutent quelque peu à l'époque. Issu de la même session, 301 en est pour ainsi dire la version lumineuse. Et certainement pas la moins émouvante. E.S.T. semblait alors transcender la veine pop-électro qui avait fait le succès du groupe. Les deux ballades introduisant et refermant le disque mettaient en exergue le toucher "chanté" d'Esbjorn Svennson... Au-delà d'un Brad Mehldau, peut-être... Pas si loin d'un Keith Jarrett, sûrement.

La fusion post-industrielle, la fièvre, les éclats rugissants d'un trio poussant l'osmose à son summum d'incandescence étaient également réunis sur un morceau comme "Three Falling Free, Part Two", magistral climax d'un jazz porté à l'état de fresque. On écrit tout cela à l'imparfait, mais 301 n'a pas fini de planer (et dans le genre planant, que désirer de mieux ?) sur notre présent. Cette musique a du grain, des couleurs et une puissance d'abstraction qui s'autorise paradoxalement d'étonnantes aspérités charnelles. Il reste encore, très certainement, des bandes à découvrir de la mythique session de janvier 2007 au studio 301 de Sydney. Non, tout n'a pas été dit, tout n'a pas été entendu d'Esbjorn Svensson et de ses hypnotiques et fatales plongées dans les eaux profondes d'un jazz ruisselant d'invention, de sensibilité et de puissance mélodique.

301, E.S.T. (Label ACT)

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