Jeudi 22 mai 2025 par Laurent Sapir

Jeunes mères

Les Dardenne au féminin pluriel. "Jeunes mères" et ses héroïnes cabossées par une maternité précoce les confrontent pour la première fois à un récit choral dont la veine documentaire ouvre la voie à une œuvre aussi poignante que lumineuse. 

 

Quatre filles paumées dans une maison maternelle à Liège. Certaines sont enceintes, d'autres ont déjà accouché. Escortées d'un trop plein d'angoisses et de tout ce que peut parfois trimballer leur milieu social (pauvreté, ruptures familiales, drogue...), c'est l'incertitude quant à l'avenir qui les prend le plus en tenaille. Jusqu'à parfois ne rien ressentir pour leur bébé. Ou alors jusqu'au sacrifice qui consiste pour son bien à le placer dans une famille d'accueil. Jessica, Perla, Ariane et Julie vont pourtant trouver matière à chaleur humaine auprès d'éducatrices et de psychologues attentionnées. Les fenêtres sont souvent ouvertes dans la maison qui les héberge momentanément. Est-ce pour cela que les frères Dardenne ont signé un film à ce point lumineux ?

Rien de glauque en vérité dans cette dialectique si vivifiante entre solitudes au féminin pluriel et portrait de groupe. Pour leur premier film choral, Jean-Pierre et Luc Dardenne focalisent et relient à la fois. Chaque trajectoire possède sa propre dynamique: Jessica qui tente de retrouver sa mère biologique campée par la définitivement saisissante India Hair, Perla flanquée d'un compagnon puéril et défaillant, Ariane qui ne supporte plus sa génitrice, Julie qui ne veut pas redevenir junkie... Chacune à son histoire, mais on repère les mêmes motifs, les mêmes carences affectives, la même difficulté à s'assumer comme jeune mère quand on a loupé le rendez-vous avec la sienne. 

Ainsi le motif de l'écho ou de la répétition s'enrichit-il au gré même de l'évolution des personnages et des situations, comme dans Deux jours, une nuit qui recourait au même procédé mais de façon encore plus paroxystique. Les deux films ont aussi en commun une tonalité quasi-documentaire, et ça fait un bien fou au cinéma des Dardenne à la lumière de récents emballements de fiction qui ont pu nous faire douter de leur savoir-faire et de leur puissance d'émotion. Jeunes mères au contraire nous bouleverse, simulant au départ le film-dossier vaguement scolaire avant d'aller à l'essentiel. 

C'est si  beau, l'essentiel, quand il guide le geste de l'une des quatre jeunes mères laissant une lettre destinée à être lue par sa fille lorsqu'elle aura 18 ans, en 2042 ! Et quand cet essentiel se pianote sur des notes d'espoir, au rythme virevoltant de la marche turque de Mozart, c'est encore plus poignant, même si l'émotion jaillit aussi d'autre part. Il est vrai que ces jeunes rebelles et demoiselles de cœur en rappellent une autre que les Dardenne ont révélée autrefois dans le monde entier. Elle s'appelait Rosetta, et elle était incarnée par Émilie Dequenne.

Jeunes mères, Jean-Pierre et Luc Dardenne. En compétition au Festival de Cannes. Sortie en salles ce 23 mai. Coup de projecteur le même jour sur TSFJAZZ (13h30) avec les deux réalisateurs.