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Deux jours, une nuit

Le lundi 12 mai 2014, par Laurent Sapir

C'est un anti-film, d'une certaine manière, et c'est pour ça qu'il est si beau. Le temps d'un week-end et à peine remise d'une longue dépression, Sandra va voir un à un ses collègues de travail qui ont préféré voter son licenciement plutôt que de renoncer à leur prime. Une nouvelle consultation va avoir lieu. Il est encore temps de changer d'avis. Sandra leur récite à chaque fois le même texte, à ses collègues. Ça risque d'être un peu compliqué, tout le film, avec ce porte-à-porte comme seul argument. Seulement voilà, derrière la caméra, il y a Jean-Pierre et Luc Dardenne. Et devant, il y a Marion Cotillard.

Cinématographiquement, les deux frangins vont faire comme leur héroïne. Elle n'a pas trop l'esprit aux travellings, Sandra. Elle marche au pas. Elle a même du mal, parfois, à marcher... Alors avec une infinie douceur, la mise en scène l'escorte. Pas question, non plus, de juger. Elle les comprend, Sandra, ceux qui sont trop dans la dèche pour lâcher la prime. La voilà presque surprise quand un vote contre se transforme en vote pour. C'est surtout dans ces moments là (un collègue qui fond en larmes, une salariée solidaire jusqu'à être virée du domicile conjugal...) que la caméra des frères Dardenne nous subjugue à ne jamais flancher.

Minérale et solaire, la caméra... Comme pour mieux mettre en ébullition le collectif, ou ce qu'il en reste, face à un capitalisme sauvage qui pulvérise le mur du son dans l'ignominie. Usine, HLM et rédemption... On dira encore que les Dardenne sont dans leur monde. Ils ont pourtant convoqué une "intruse" dans leur dispositif, comme ils l'avaient fait dans Le Gamin au Vélo avec Cécile de France. L'alchimie, à l'époque, n'avait pas très bien fonctionné.

Sauf que là, c'est Marion Cotillard, et qu'il n'en reste plus rien. Plus rien, surtout, de la star tricolore qui nous a fait écrire des horreurs sur elle tant on la trouvait irréversible dans sa façon de déteindre sur les plus grands réalisateurs. Fallait-il à ce point la filmer à l'os, au bout du rouleau et de l'épure, prolétarisée jusqu'au teint de peau pour qu'une telle magnificence surgisse dans son art ? Fallait-il la réduire à un seul thème -cette fameuse litanie qu'elle ânonne devant chacun de ses collègues- pour qu'elle en fasse ressentir les moindres variations qui sont comme autant de vibrations ? Colère, abattement, ironie, humilité, grâce...  Ophélie dans la peau d'Hamlet, qu'est ce que ça lui va bien !

Deux jours, une nuit, de Jean-Pierre et Luc Dardenne, en compétition au festival de Cannes, sortie en salles le 21 mai. Coup de projecteur, le même jour, avec les deux réalisateurs.

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