Spectateurs !

Des fulgurances, mais aussi beaucoup d'humilité... Entre fiction et documentaire, Arnaud Desplechin revient sur sa propre pratique de spectateur jusqu’au moment où il a choisi de passer derrière la caméra.
À quoi se résume une cinéphilie sinon à un grand bazar en pointillés, mélange aussi intime que foutraque de films en tous genres et parfois même, au sein d'un même genre, sans trait d'union entre eux ? Spectateurs ! en offre un miroir fêlé et en même temps assez fidèle. Arnaud Desplechin y juxtapose bribes de fiction, sillon autobiographique, extraits de films et essai documentaire. Après un court focus sur des spectatrices et spectateurs multi-âges et multi-profils, c'est son propre statut de spectateur qu'il tente de cerner jusqu'au moment où il a choisi de devenir cinéaste.
De quoi retrouver, mais en beaucoup moins gonflant, quelques échos de ces fameux Trois souvenirs de ma jeunesse fragmentés pour l'occasion à travers les différents âges d'un même personnage, le fameux Paul Dedalus, l'alter ego de Desplechin. Parmi eux, Milo Machado-Graner, qui jouait le gamin aveugle dans Anatomie d'une chute, ainsi que l'étonnant Salif Cissé, lequel crevait déjà l'écran dans La Vie de ma mère. Belle apparition, également, de l'iconique Françoise Lebrun, laquelle incarne la grand-mère du cinéaste.
La mémoire bringuebale, passant du coq à l'âne ou du Fantomas avec Louis de Funès à La Maison du Dr Edwards d'Hitchcock. La vision du premier film est perturbée par une frangine saisie de panique tandis que le second long-métrage s'entraperçoit au milieu d'un repas familial pour le moins agité. Le cinéma comme expérience, en somme, et non pas à la manière d'un cérémonial façon Spielberg dans The Fabelmans.
Délibérément hybride, cette ode au 7e art manque parfois de densité au niveau du texte. Desplechin tente notamment un parallèle laborieux entre Marilyn Monroe et Misty Upham, une actrice amérindienne récemment disparue qu'il avait fait jouer dans Jimmy P. Godard aurait certainement trouvé d'autres mots dans Histoire(s) du Cinéma... L'ensemble regorge heureusement de fulgurances, notamment quand Desplechin, cogitant sur la "recherche du temps détruit, perdu et retrouvé tout à la fois", fait le lien entre Proust et Claude Lanzmann, le réalisateur de Shoah. Même bonheur lorsque le cinéaste revisite avec la Tour Eiffel au fond le générique d’ouverture des 400 coups de François Truffaut. De manière plus générale, le propos d'Arnaud Desplechin est empreint d’humilité. C’est un beau passeport pour l’émotion.
Spectateurs !, Arnaud Desplechin (Sortie en salles ce 15 janvier)