Direct
SPEAK LOW
DIANNE REEVES

Shame

Le dimanche 20 novembre 2011, par Laurent Sapir

2011, hommes en crise... Après "Somewhere", le spleen californien de Sofia Coppola sorti en début d'année, c'est "Shame" qui referme la boucle sur le mode du cauchemar new-yorkais. Derrière la caméra, Steve McQueen, un réalisateur britannique qui signe ici son 2eme film après "Hunger" et dont l'art de la mise scène est aussi redoutable que dans les meilleurs Scorsese... la rédemption en moins.

Dans "Shame" comme dans "Somewhere", un personnage masculin apte à satisfaire tous ses désirs s'englue dans la vacuité de son existence, un peu comme dans les romans de Bret Easton Ellis. C'est l'inutilité de soi et le caractère frelaté d'Hollywood qui enferment le Johnny-acteur de Sofia Coppola dans son hôtel de luxe où il parvient encore, néanmoins, à cultiver une libido plus ou moins fantasque (les fameuses jumelles)...

"Shame", de ce point de vue, offre un paysage beaucoup plus mortifère. Yuppie sexopathe dénué de tout affect, Brandon se fracasse dans le sordide: baises furtives dans un New-York filmé façon "American Psycho", revues pornos, téléchargements sauvages sur Internet... C'est la  jouissance sans l'ivresse qui gouverne sa vie, ce qui, au passage, n'a rien à voir avec un quelconque regard moralisateur, d'autant plus que la mise en scène ne nous assène pas d'emblée ce que le personnage a de complètement détraqué.

L'autre point commun à "Somewhere" et à "Shame", c'est l'irruption d'un élément féminin et familial qui tente de retisser une trame narrative irrémédiablement décousue : dans "Somewhere"Johnny est bousculé par l'arrivée de sa fille tout en puisant dans sa pureté le carburant qui lui permettra de se bouger de son hôtel. Dans "Shame", c'est sa soeur que Brandon voit débarquer chez lui.

Trop paumée,  malheureusement, la frangine, pour faire bouger quoique ce soit dans la vie de son frère. Trop humaine, également, jusqu'à renvoyer Brandon, tel un miroir impitoyable, à ses manques et à son animalité plus qu'à ses vices. Il y a en même temps ce moment sublime dans le film lorsque le frère craque en écoutant sa soeur chanter  "New York, New York", mais sur un tempo déchiré et désarticulé qui n'a plus rien à voir avec la version musclée de Liza Minnelli, et encore moins avec la ballade des Strokes qui aérait miraculeusement le film de Sofia Coppola...

A la fin de "Somewhere", Johnny se barre en Ferrari. Dans "Shame", Brandon redescend dans le métro. Là où Sofia Coppola tenait l'équilibre entre désarroi et tendresse, Steve McQueen glace l'écran et ferme toutes les issues de secours malgré l'intensité de jeu de Michael Fassbender et le regard lumineux de Carey Mulligan... Il n'est pas impossible que le plus anxiogène de ces deux films soit également celui qui nous hante le plus le coeur et l'esprit, longtemps, très longtemps après la projection...

"Shame", de Steve McQueen (Sortie en salles le 7 décembre) Coup de projecteur avec le réalisateur, sur TsfJazz, le mercredi 7 décembre, à 7h30, 11h30 et 16h30

Partager l'article
Les dernières actus du Jazz blog