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THAD JONES / MEL LEWIS

Selma

Le vendredi 06 mars 2015, par Laurent Sapir

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Malaise, face à Selma. Malaise de voir d'aussi courageux marcheurs desservis par une mise en scène qui l'est si peu. Malaise de constater qu'aux événements dramatiques qui, aux Etats-Unis, ont remis dernièrement la question noire au premier plan (Trayvon Martin, Ferguson...), ne fait écho qu'un pâle savoir-faire du côté des nouveaux cinéastes afro-américains. Après Lee Daniels, Ava DuVernay...

Si Le Majordome avait au moins l'avantage de viser large dans l'ampleur du récit, l'instant Selma est beaucoup plus frustrant. Faut-il donc se résigner aux trot académique des nouveaux poulains d'Oprah Winfrey (productrice et actrice dans les deux films en question...) pour que le cinéma s'intéresse au si beau combat en faveur des droits civiques ? Spike Lee, hélas, a déserté les plateaux. Quant au réalisateur du puissant 12 Years a Slave, il est Anglais.

À défaut de génie, il nous reste l'habileté. Selma dispose d'une belle B.O., signée Jason Moran qui, lui, n'a jamais cédé à un quelconque soupçon de formatage. Selma est scandé par une lutte magnifique, trois marches ou tentatives de marche en mars 1965 entre Selma et Montgomery pour que les Noirs obtiennent le droit de vote, un pont fatidique qu'il fallait oser franchir à ses risques et périls face la vérole sudiste et ségrégationniste qui gangrénait l'état d'Alabama.

Dommage que la réalisatrice ait occulté la force collective de cette lutte en se focalisant sur son maître d'oeuvre, Martin Luther King. En proie aux doutes, tergiversant, affrontant les dissensions internes, parfois au bord de l'opportunisme, le célèbre pasteur échappe, certes, à la sanctification, mais pas à la "peopolisation" de son action, l'accent étant notamment porté sur ses problèmes de couple. Pendant ce temps là, le mouvement de masse fait de la figuration. Que de libertés prises avec l'Histoire, également... La presse américaine a glosé sur l'ex-président Lindsay Johnson qui se serait montré, en réalité, beaucoup moins obtus que le film ne le prétend.

On est plus mal à l'aise, encore, face au sort réservé à James Forman, le responsable du SNCC (Student Nonviolent Coordinating Committee). Ce vétéran de la Guerre de Corée, qui avait pratiquement le même âge que Martin Luther King, est décrit, ici, comme un petit jeunot dogmatique et un peu abruti. C'est faire bien peu de cas, comme cela a été relevé ici ou là,  de l'action héroïque de ces militants déployés depuis des années et qui ont préparé le terrain à Selma avant la venue de Luther King.

Guère plus intéressée par les propos du pasteur en faveur de l'émancipation sociale et économique des Noirs américains, Ava DuVernay en reste aux bons sentiments. Elle n'est pas aidée, au passage, par ses choix de casting ni par l'interdiction, du côté des ayant-droits, de reprendre les discours exacts de Martin Luther King à l'époque des faits. On aimerait, au final, que ce film décevant à bien des égards questionne la vision muséale des luttes afro-américaines qu'impose, cinématographiquement parlant, une partie de l'establishment noir étroitement lié à Barack Obama. Selma, dés lors, serait enfin à la hauteur de sa cause.

Selma, Ava DuVernay, (sortie en salles le 11 mars)

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