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Allen v. Farrow

Le lundi 29 mars 2021, par Laurent Sapir
"Et vous, quel est votre film préféré de Woody Allen ? "... Ultra-orienté mais donnant enfin à entendre des paroles longtemps inaudibles, le documentaire de OCS, "Allen v. Farrow", ébranle bien des visions établies sur l'affaire qui poursuit Woody Allen depuis trente ans.

L'ébranlement. Pour tous ceux qui ont suivi de manière superficielle les accusations d'agression sexuelle à l'encontre de Woody Allen en observant d'abord à quel point cette affaire l'a ostracisé sur le plan artistique, Allen v. Farrow représente un vrai choc. L'absence de prolongements judiciaires ne suffit plus à régler ce lourd dossier que deux activistes de choc post-MeToo, Kirby Dick et Amy Ziering, décortiquent en quatre temps, et avec une puissance de récit et d'émotion dont on ne sort guère indemne.

Comment rester de marbre devant le regard de Dylan, cette gamine de sept ans qui se confie à sa mère adoptive, Mia Farrow, dans les jours qui suivent le 4 août 1992 ? "Je n'ai pas aimé, maman...", murmure-t-elle avec ses mots d'enfant devant le caméscope familial au sujet de ce qui a pu se passer dans le grenier d'une maison de campagne du Connecticut où Woody Allen, son père adoptif, l'aurait emmenée. Un procureur à la mine intègre estimera qu'il y avait là matière à poursuites judiciaires. Sauf que le magistrat renonce. Si ce procès a lieu, estime-t-il, cela pourrait définitivement détruire la fillette.

Dans le brouhaha de l'époque, les traumas de Dylan Farrow restent inaudibles. Il faut dire qu'une autre fille adoptive de Woody Allen fait paravent. À travers sa liaison révélée au grand jour avec le réalisateur de Annie HallSoon-Yi passionne davantage les médias. Et quand Dylan, devenue adulte, réitère ses accusations de manière plus véhémente, elle se heurte à un mur. Hollywood est bien un lieu de pouvoir, fidèle à son New-yorkais préféré, rejetant par ricochet Mia Farrow que Woody Allen va clouer au pilori (jusqu'à une récente autobiographie...) sur le mode de la "femme délaissée ", vengeresse et manipulatrice. Sauf qu'entretemps, #MeToo a changé la donne, ainsi que la détermination de Ronan Farrow qui, après avoir refusé d'entendre pendant longtemps sa sœur adoptive, en est devenu le porte-parole le plus ardent.

C'est en faisant résonner toutes ces voix -celles de Dylan et de ses proches-, toutes ces angoisses et ces tremblements trop longtemps passés sous silence qu'Allen v. Farrow trouve sa raison d'être même si la sanctification de Mia Farrow laisse rêveur. Que penser d'un idéal de maternité aussi gargantuesque, chacun de ses rejetons importés des quatre coins du monde étant censé faire l'objet d'un dévouement sans limite ? Le dysfonctionnel transpire ici à grosses gouttes, surtout quand un type aussi névrosé que Woody Allen débarque dans une telle smala, confronté alors qu'il n'est plus très jeune à la question de savoir comment être un bon père et tombant la tête la première dans une série de relations malsaines.

Ces questionnements, Kirby Dick et Amy Ziering les font surgir à leur insu tant ils sont d'abord obnubilés par leur acte d'accusation. On renverra à-ce-propos à un long article de The Guardian recensant leurs omissions et autres zones d'ombre persistantes dans ce dossier même si on ne peut guère se défaire, désormais, d'une intime conviction. Difficile, par ailleurs, d'avaler sans broncher la partie du récit où la filmo de Woody Allen devient une série de preuves à son encontre. La Mariel Hemingway de Manhattan comme témoin à charge parce qu'elle a 16 ans à l'époque, il fallait oser...

Il n'empêche qu'au terme de cette enquête que parachève la renaissance de Dylan Farrow, reviennent en tête ces mots terribles dans sa première lettre ouverte en 2014: "Et vous, quel est votre film préféré de Woody Allen ? "... Dans le monde d'aujourd'hui où, comme le relève Emmanuel Burdeau dans Médiapart, tout un ensemble subjectif, médiatique, et "communicationnel " dépoussière le vieux débat sur la différence entre l'homme et l'artiste (surtout quand l'artiste impose son ego dans ses œuvres...), cette question peut légitimement nous hanter. On aimerait qu'il en soit autrement tant ne plus voir les films d'un réalisateur impliqué dans un scandale personnel peut paraître absurde, mais a-t-on vraiment le choix et surtout, Dylan Farrow nous laisse-t-elle le choix ?

Allen v. Farrow, Kirby Dick et Amy Ziering, série documentaire en quatre volets sur la chaîne OCS.

 

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