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PERSISTANCE DE L'OUBLI PART II
ORCHESTRE NATIONAL DE JAZZ / OLIVIER BENOIT

Pauvre petit Blanc

Le dimanche 25 octobre 2020, par Laurent Sapir
Avant l'élection du 3 novembre, l'historienne Sylvie Laurent décrypte avec vigueur la notion de "pauvre petit Blanc" dont la galaxie trumpiste a fait son miel au mépris des vrais pauvres qui, quelle que soit la couleur de leur peau, ne voteront jamais pour ces gens-là.

Sa biographie de Martin Luther King nous l'a rendue incontournable. Avec Pauvre petit Blanc, l'historienne américaniste Sylvie Laurent revient aux sources d'un travail qui articule constamment questions de race et de classe, cette seconde dimension ayant été occultée dans les biographies convenues du célèbre leader noir assassiné. Ici, et dans la belle lignée d'une thèse de doctorat consacrée à l'image du "poor white trash " dans le roman américain, Sylvie Laurent décortique cette fameuse notion de "pauvre petit blanc" qui a fait le bonheur électoral de Donald Trump en 2016 sans même que les observateurs ne prennent le temps de scruter cet effet de langage et son rapport avec le réel.

Du littéraire au politique, le mythe de la dépossession raciale a toujours fait partie, à vrai dire, de l'histoire américaine. "Sa" terre que le propriétaire de plantation a volée aux Indiens avant d'être en grande partie fructifiée par le travail des esclaves nourrit en lui une angoisse existentielle, une mentalité de colon assiégé. Les avancées pour l'égalité raciale ont beau complexifier la donne, l'idée perdure, de Nixon à Reagan, que les "valeureux" Blancs en sont les victimes, telle une "discrimination inversée" et au mépris de tous les paramètres existants sur l'ampleur, jusqu'à nos jours, des inégalités raciales made in America.

Donald Trump active ce bruit de fond. Il le chauffe "à blanc", comme le formule astucieusement l'historienne au micro de TSFJAZZ. Homme d'argent, il se fait en même temps le défenseur de l'ouvrier blanc licencié dans la "ceinture de la rouille". Chez Trump, les méritants s'opposent aux ingrats. Les premiers ne demandent rien à l'Etat. On conspire à leur perte. Qui est ce "on" nuisible à américanité viscérale incarnée notamment par le Blanc hétéro et chrétien ? Les minorités ? Les féministes ? L'électeur trumpiste en est convaincu : il faut "reprendre" ce qui lui a été soustrait, peu à peu.

Gros souci, tout de même... Le niveau de vie de l'électorat républicain est bien au-dessus de la moyenne nationale, et si les Blancs non diplômés ont été les plus ardents soutiens de Trump en 2016 (sachant que plus de 50% des dirigeants de PME américaines n'ont aucun diplôme), plus de la moitié d'entre eux étaient des cols blancs, des employés, des cadres moyens. "Ce sont eux qui, ayant voté précédemment pour Obama, se sont reportés sur le candidat républicain et ont fait basculer l'élection, bien plus que l'ouvrier de la Rush Belt comme le suggérait l'image d'Épinal "... De toute façon, les VRAIS pauvres blancs, eux, ne votent pas, et le thème dominant voulant qu'ils seraient d'abord victimes de l'immigration ou du poids des minorités relève d'abord, outre-Atlantique comme ailleurs, d'un discours politique et culturaliste.

Hantise démographique, crise des opiacés... Sylvie Laurent scrute au scalpel les soubassements de ce que véhicule la frange états-unienne la plus conservatrice. Sur les opiacés, elle observe avec justesse l'attention des médias sur un fléau qui, dans un premier temps du moins, n'a pas touché, certes, les minorités (contrairement au COVID 19 aujourd'hui...) quand ces mêmes médias négligeaient les ravages du Sida et de la pandémie de crack dans les quartiers noirs dans les années 80. Aucun plan d'urgence sanitaire n'avait alors été mis sur la table. Seule réponse des pouvoirs publics à l'époque: l'hypercriminalisation des malades, comme si la place d'un toxico noir était d'abord la prison.

Les temps changent, pourtant. Si Barack Obama fut porté au pouvoir en 2008 par une coalition multiraciale (mais pas par une majorité de Blancs...), celui qui pourrait peut-être lui succéder le mois prochain n'hésite plus à dénoncer aujourd'hui le "racisme institutionnel" dans son pays. Les manifestations après la mort de George Floyd à Minneapolis sont passées par là. Prise dans les polémiques du moment sur le "privilège blanc", l'historienne nous laisse sur notre faim lorsqu'il s'agit d'apprécier l'impact de cette nouvelle lame de fond aux Etats-Unis sur le concept qui la préoccupe à juste titre. L'objet d'un autre essai, peut-être...

Pauvre petit Blanc, Sylvie Laurent (Éditions de la Maison des Sciences de l'Homme). Coup de projecteur avec l'auteure, jeudi 29 octobre, sur TSFJAZZ (13h30)

 

 

 

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