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Martin Luther King. Une biographie

Le lundi 08 juin 2015, par Laurent Sapir

Martin Luther King dévitalisé, Martin Luther King édulcoré, Martin Luther King pétrifié, mais Martin Luther King libéré ! Ainsi comprend-on la biographie que consacre l'historienne américaniste Sylvie Laurent à un personnage que l'on croyait connaître sur le bout des ongles mais dont on ignorait, en réalité, le profond degré d'insoumission.

Nous en étions restés à ce triptyque martelé au gros feutre dans les manuels d'histoire: Rosa Parks, I Have a Dream, Selma.... Et si l'essentiel était plutôt ce que Sylvie Laurent rajoute à la marge (et qui n'a rien de marginal) ? C' est, par exemple, pour défendre des éboueurs qui voulaient se syndiquer que le pasteur va voir Memphis et mourir. A Chicago, il part en croisade contre les logements insalubres. Face à lui, l'appareil du Parti Démocrate, l'establishment noir et une opinion étonnamment volatile.

En juin 1967, 82% des Américains désapprouvent les manifestations pour les droits civiques. Ils étaient 42% deux ans plus tôt. La guerre du Vietnam est évidemment passée par là, mais aussi les enjeux de classe dont Luther King ne fait plus mystère dans ses analyses. Tout jeune, déjà, il écrit dans une dissert' que le capitalisme a fait son temps aux Etats-Unis. On est en 1951, apogée du Maccarthysme. Et si le pasteur prend ses distances avec le marxisme, c'est qu'il n'en a écho qu'au travers d'une vulgate athéiste. Ce qui ne l'empêche pas, dans l'un de ses premiers sermons, de feindre la naïveté: "On me dit que 0.1% de la population contrôle plus de 40% de la richesse"...

"Parle-leur du rêve, Martin...", lui soufflera, plus tard, Mahalia Jackson. Il sait écouter les chanteuses (Il adore Bessie Smith et Aretha Franklin...), alors il écoute Mahalia et clôt en beauté son discours de Washington, en août de l'an 63. "King crut tant à l'Amérique en ces 17 minutes que l'Amérique crut en elle-même", écrit Sylvie Laurent qui n'omet pas, pour autant, de signaler que cette marche de Washington était d'abord "une mobilisation syndicale massive organisée par des socialistes pour réclamer des emplois décents, des investissements publics et de meilleurs salaires". Le fameux rêve américain va prendre alors une autre tournure. Non-violent, certes, et donc irréductible aux dérives de Malcolm X et des Black Panthers, Martin Luther King remet pourtant en cause les fondements mêmes de son pays en faisant rimer impérialisme, capitalisme et racisme... Oui, "il y a quelque chose d'intrinsèquement pourri au royaume d'Amérique"... Ce même royaume où l'on parle d'assistanat quand ce sont des Noirs sans le sou qui reçoivent des aides alors que pour les patrons blancs on parle de subventions...

Au gré d'une écriture acérée et gorgée de fulgurances, la biographe nous révèle ainsi le vrai Martin Luther King, toutes griffes dehors, allant jusqu'à faire sienne la pensée de Frantz Fanon lorsque ce dernier décrit la dépersonnalisation de l'opprimé et la nécessité d'affirmer fièrement son identité. On ne l'observera plus comme avant, la statue de Luther King, à Washington, avec ce regard qui évite soigneusement de rencontrer celui de Jefferson, le propriétaire d'esclaves...

Et pour bien retourner le fer dans la plaie, Sylvie Laurent démontre en quoi la réécriture des combats du pasteur en "conte pour enfants" et l'élision de toute leur charge subversive ont porté un coup terrible à la situation que traversent aujourd'hui les Afro-Américains, brutalités policières à l'appui. "La légende du Grand Homme, écrit-elle, permet de taire le rôle de ses prédécesseurs, socialistes et communistes, et d'établir une opposition binaire entre le bon pasteur Martin et le diabolique Malcolm X. La domestication de King, l'affadissement de son message, sert les ultra-conservateurs comme les bonnes âmes du post-racial"...  Joli paragraphe où une biographie devient manifeste.

Martin Luther King. Une biographie, Sylvie Laurent (Le Seuil). L'auteur sera l'invité des Lundis du Duc, sur TSFJAZZ,  le 15 juin, en direct du Duc des Lombards (18h), avec à ses côtés le bluesman Eric Bibb, dont l'album Blues People est dédié à Martin Luther King.

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