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Ouragans tropicaux

Le mercredi 04 octobre 2023, par Laurent Sapir
Entre le Cuba belle époque et le pays en transe que Barack Obama visite en 2016, Leonardo Padura retrouve son enquêteur fétiche, Mario Conde, tout en rendant une fois de plus un magnifique hommage à l'âme cubaine à travers des liens insoupçonnés entre passé et présent.

Crédits photo: Ivan Geménez Tusquets Editores

Où se nouent certaines fibres qui donnent forme aux destins des individus et aux histoires des pays ? Cette question, explicitement formulée dans l'un de ses plus beaux romans, Les Hérétiques, taraude toute l'œuvre de l'écrivain cubain Leonardo Padura. Elle donne surtout matière à des enchevêtrements historiques dont lui seul a le secret. Pour l'auteur du mythique L'Homme qui aimait les chiens, le Cuba contemporain dans lequel vivote son enquêteur préféré, Mario Conde, est trop réducteur. Ce présent asphyxié, insulaire, sclérosé par un régime à bout de souffle et un embargo anachronique, ne fait sens qu'à la lumière du passé: Rembrandt, les Croisades, la Guerre d'Espagne... Aller de l'avant, malgré tout, c'est parfois revenir en arrière.

Voilà pourquoi, parallèlement à son enquête sur le meurtre d'un ex-apparitchik compromis dans les heures les plus sombres de la purification culturelle, Mario Conde s'efforce de trouver son oxygène ailleurs. Ailleurs, autrement dit un siècle auparavant puisque notre héros s'est mis en tête d'écrire un roman à partir des Mémoires d'un autre flic cubain dans les années 1910. Ambiance fin de monde, déjà... La Comète de Halley menace de s'écraser sur terre tandis que La Havane est le théâtre d'une sordide guerre des gangs entre proxénètes cubains et français. Padura donne à cette chronique des airs de Il était une fois en Amérique. Il déniche surtout un personnage haut en couleur, Alberto Yarini, un parrain et politicien autant hanté par sa virilité que par sa "cubanité" (suivez mon regard...) dans un contexte déjà marqué par les ingérences américaines.

Cette frénésie Belle Époque constitue l'autre lien entre le Cuba d'hier et d'aujourd'hui, ou plutôt le Cuba de l'an 2016 où se situe la partie contemporaine du récit. La Havane se prépare en effet à la visite historique de Barack Obama -et au concert tout aussi historique des Rolling Stones. Le pays entre alors dans une sorte de transe où tous les espoirs sont permis: "On va ouvrir des commerces, on va renverser le monde, ils vont peut-être lever le blocus et hop, on va sortir du sous-développement et même du tiers-monde. La Havane est folle, La Havane rêve ", mais Conde, lui, ne rêve pas. Sans même attendre le nouveau tour de vis de Donald Trump, il sait que le régime n'a aucun intérêt à une décrispation durable: "Beaucoup de choses étaient négociables, mais le contrôle, l'industrie nationale qui fonctionnait le mieux, n'en faisait pas partie "...

D'un ouragan tropical à l'autre (Ce Yarini est à lui seul une explosion de la nature et le Obama de 2016 aurait également pu tout chambouler à Cuba...) et aux antipodes d'un roman à l'eau de rose sur l'exil paru il y a deux ans et qui ne lui ressemblait pas vraiment, Leonardo Padura se transforme en météorologue des tempêtes éphémères. Elles "font un max de dégâts puis s'en vont, se perdent ", écrit-il... Il nous apprend aussi au passage l'existence d'un musée Napoléon à La Havane. De quoi ouvrir une autre brèche savoureuse dans un récit hanté au final par le souvenir d'une poétesse catholique odieusement persécutée. Tristes tropiques en vérité, même si l'ingéniosité romanesque de Padura ne fait jamais litière de ce qui reste encore de festif, de chaleureux et de burlesque (le cuisinier qui cause toujours au participe présent, fallait oser...) dans l'âme cubaine. La mayonnaise qui en résulte a la saveur d'un mojito.

Ouragans tropicaux, Leonardo Padura (Métailié). Coup de projecteur avec l'auteur, ce vendredi 6 octobre, sur TSFJAZZ (13h30)

 

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