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Oona & Salinger

Le samedi 15 novembre 2014, par Laurent Sapir

Dilettante. De l’italien dilettante, littéralement « celui qui se délecte ». De ce dilettantisme si délectable que ses adversaires ont rendu si délictueux, Frédéric Beigbeder a fait une vertu. Sous sa plume, les phrases gambadent mais elles sonnent plus juste et plus libre qu'une prose d'avantage astiquée.

"Je hais le mot 'oeuvre'. Il respire le vieux camphre et la cocotte fumée", écrivait l'an dernier le non moins germanopratin Yann Moix. Se délecter façon Beigbeder, c'est le meilleur moyen de ne pas faire oeuvre. Et c'est loin d'être un handicap littéraire. J.D. Salinger, lui, était moins virevoltant. D'où un constant et jubilatoire contrepoint par rapport au reclus de la forêt de Cornish que Frédéric Beigbeder essayera en vain de débusquer en 2007 lors d'une équipée pathétique.

Car même si ces deux là partagent un goût commun pour les jeunes filles en fleurs ("Je ne comprends pas pourquoi les hommes mûrs attirés par la chair fraiche choquent certaines personnes alors que c'est le couple idéal prôné par Platon dans 'Le Banquet'"), tout ou presque les oppose. Salinger s'est enfermé dans le silence, Beigbeder exulte dans la jet-set. Salinger se dopait au be-bop, Beigbeder préfère Cole Porter. Et quand il s'agit d'évoquer le mal de mer et la terreur des GI's (L'auteur de L'Attrape-coeurs s'engage sur le front allié dés 1942...) en partance pour la Normandie, Beigbeder ose ce que personne d'autre n'oserait à part lui: "L'Atlantique, ça monte et ça descend comme une montagne russe. Croyez en un adepte du stand-up paddle à Guéthary"...

Le romancier ne "surfe" jamais, en même temps, sur les traumas de son contre-modèle. Plus que la romance foireuse avec la trop jeune Oona O'Neill qui lui préfèrera comme mentor un certain Charlie Chaplin, c'est en combattant les Nazis, de l'enfer des Ardennes à la découverte du camp de Dachau, que Salinger a conçu L'Attrape-coeurs qui n'est rien d'autre, selon la formidable intuition de Beigbeder, que "le désespoir d'un vétéran de la 2e Guerre transplanté dans le coeur d'un adolescent new-yorkais". Un ado qui termine en hôpital psychiatrique. Comme si ce genre d'endroit, au début des années 50, était devenu l'unique "horizon des esprits libres en système capitaliste".

Là, évidemment, on n'est plus trop dans la délectation. Plutôt dans les coeurs défaits et les occidents fissurés ayant hanté d'autres écrivains que l'on croise aussi dans ce roman et qui ont pour noms Truman Capote, Scott Fitzgerald ou encore Ernst Hemingway... Dolce vita et douleur d'âme mêlées, Frédéric Beigbeder leur rend hommage avec un charme fou tout en donnant à J.D. Salinger une nouvelle jeunesse là où d'autres l'auraient érigé en monument.

Oona & Salinger, Frédéric Beigbeder (Grasset). Le romancier sera l'invité des Lundis du Duc ce 17 novembre, en direct du Duc des Lombards (19h) sur TSFJAZZ, avec à ses côtés le romancier et critique Eric Neuhoff.

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