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Les Valseuses ont 50 ans

Le mercredi 20 mars 2024, par Laurent Sapir
Misogynie et culture du viol en roue libre, tel le tandem Dewaere/Depardieu à vélo, ou alors autopsie d'une masculinité pathétique ? Les deux à la fois sans doute, même si 50 ans après la sortie des "Valseuses", les jugements équilibrés ne semblent plus trop de saison.

Ce n'est plus un brûlot, c'est une hérésie. 50 ans après sa sortie en salles, le 20 mars 1974, Les Valseuses  sent encore plus le soufre que lors de sa déflagration initiale dans la France de Pompidou. Véritable boule puante auprès des tenants de l'ordre moral et du patriarcat le plus rétrograde, le film de Bertrand Blier est pourtant perçu tout autrement aujourd'hui, notamment au sein d'une partie du mouvement #MeToo qui considère le réalisateur de Buffet froid  comme un monstre de misogynie cédant à la culture du viol. Et puis Gérard Depardieu dans l'un des deux rôles principaux, était-ce vraiment une coïncidence ? 

"Les films nous regardent autant que nous les regardons ", disait l'autre soir la comédienne Judith Godrèche. Reste à savoir si Les Valseuses  n'est pas le type même du film "mal regardé", ou alors qui nous regarde depuis un ensemble de focales plurielles et contradictoires transcendant toute approche univoque. Derrière son ton aussi guilleret que les violons de Stéphane Grappelli, le film ne met-il pas surtout en avant la plus pathétique des masculinités ? Une "masculinité frappé d'obsolescence et prise de panique", insiste pour TSFJAZZ la toujours très pertinente autrice de La Seconde femmeMurielle Joudet.

D'après l'essayiste et critique du Monde, le tandem de voyous à la dérive constitué par Gérard Depardieu et Patrick Dewaere vivote dans une sorte d'inutilité de soi qu'accentue leur précarité sociale: "On ne sert à rien, ni pour les femmes, ni pour la société ". C'est là que débute, toujours selon Murielle Joudet, une " grande récréation " dans laquelle l'arc masculin représenté se confronte à une large palette de féminités, d'Isabelle Huppert à Jeanne Moreau, avec toujours ce souci chez Blier de ne pas se confronter à une seule tonalité, y compris lors de la fameuse séquence de l'agression dans un train à laquelle est soumise Brigitte Fossey.

Même plasticité, toujours selon Murielle Joudet, dans le personnage de la shampouineuse jouée par Miou-Miou. D'abord amorphe lorsqu'elle se prend une baffe, puis réduite à une poupée dans son grand manteau de vison, elle se reconfigure ensuite dans un scénario type Bonnie & Clyde et "gagne en épaisseur " au fil du récit, même si la représentation de sa sexualité, entre frigidité et épanouissement inopiné dans les bras d'un jeune puceau, est sans doute ce qui a le plus mal vieilli dans le film.

Reste enfin à rappeler l'évidence: Les Valseuses  n'a jamais eu la moindre prétention sociologique. Les jeunes que Blier met en scène, d'abord dans un livre, puis à l'écran, ne correspondent à aucune réalité de l'époque si ce n'est celle surgie d'un imaginaire bourgeois qui tente à sa manière d'allier truculence, transgressions, tendresse et poésie avec une verve que n'aurait pas reniée un certain Céline. On peut estimer que tout cela a mal vieilli, tout comme se souvenir d'une verve libertaire, d'une légèreté narquoise et d'une mélancolie de ton désormais frappées, semble-t-il, du sceau de l'anachronisme.

Les Valseuses, Bertrand Blier (sortie en salles le 20 mars 1974, il y a tout juste 50 ans)

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