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BILL EVANS

Les Impatientes

Le mercredi 28 octobre 2020, par Laurent Sapir
Mariages forcés, polygamie et destins brisés au cœur du Sahel. Dernières pages avant le confinement, et coup de cœur inattendu pour "Les impatientes" de Djaïli Amadou Amal, en lice pour le Goncourt.

Trois femmes puissantes, chacune à leur manière... Elles n'ont pas, certes, les "chevilles ailées" des héroïnes de Marie Ndiaye, mais dans ce qui leur tient lieu de barbelés, Ramla, Hindou et Safira, les trois impatientes de l'écrivaine camerounaise Djaïli Amadou Amal, sont dotées d'une force d'âme et d'une aura romanesque qui emportent le lecteur au gré d'un récit à fleur de peau, même s'il n'est pas forcément féru de littérature africaine.

Est-ce le contexte qui en décuple l'émotion ? Partout, de toute façon, l'endoctrinement religieux donne la nausée, jusque  chez les Peuls de la région de Maroua, à l'Extrême-Nord du Cameroun, où il est inenvisageable de contrarier la volonté prêtée à Allah lorsqu'il est question de mariages forcés, de viol conjugal et de polygamie. Ramla et sa sœur, Hindou, en subiront les épreuves, l'une déjà en état de soumission alors qu'elle doit pour cela renoncer à un amour de jeunesse, l'autre toujours plus indocile, et donc plus encore annihilée. "On me répéta qu’il ne s’était rien passé de dramatique. Juste un fait banal. Rien d’autre qu’une nuit de noces traumatisantes. Mais toutes les nuits de noces ne sont-elle pas traumatisantes ?"

Dans ses déliés à la fois poignants et lumineux, la plume de Djaïli Amadou Amal ne trébuche jamais dans le glauque ou alors dans un message au gros feutre sur l'Islam. Elle sait, en revanche, scruter au scalpel un système où la dissimulation vaut domination. "Munyal ! Patience !", ne cesse-t-on de conseiller à ces femmes peules dès lors qu'elles se rebellent ou s'émancipent. Un geste de trop, et c'est leur mère qui est répudiée, chassée de la "concession", cette grande demeure ou chaque épouse est cloisonnée dans un appartement avec sa progéniture. Les pilules de Viagra circulent -il faut veiller à son honneur-, les liasses de billet également. Le mari faussement attentionné devient un fauve dès qu'il se croit volé. On est alors bien loin de toute considération sur la loi divine.

Fondatrice de l'association Femmes du Sahel, Djaïli Amadou Amal écrit corps et âme. La plume, on l'imagine, part de son propre vécu. Elle y ajoute une finesse de construction qui saute aux yeux lorsque survient le troisième personnage féminin de cette odyssée, Safira, la "première épouse" du mari de Ramla. Silences assassins entre les conjointes successives. Non-dits, jalousies, complots... Un cycle infernal s'enclenche, enchâssé à la soumission des mères, des tantes ou des amies proches vers qui il est impossible de se tourner. "Munyal ! Patience !", c'est leur bâillon. Djaïli Amadou Amal offre au contraire des mots qui libèrent.

Les impatientes, Djaïli Amadou Amal (Editions Emmanuelle Collas). En lice pour le Goncourt.

 

 

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