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Le lièvre de Patagonie

Le samedi 11 avril 2009, par Laurent Sapir

Il n'est pas du genre à tourbillonner... Lorsqu'on lui suggère cette image pour résumer ses mille et une vies telles que les recense "Le lièvre de Patagonie ", la voix de Claude Lanzmann franchit un créneau de plus dans le rocailleux. Lui, un tourbillon, alors qu'il ne revendique que cohérence et endurance? On voudrait lui dire qu'on s'est mal fait comprendre et que c'est moi, le "tourbillonné ", face à la folle destinée de ce monsieur qui me gratifie, un soir d'avril, d'un trop court quart d'heure au micro de TSF...

Claude Lanzmann écrit comme il a filmé "Shoah ": il pourrait s'épancher, enjoliver, méditer à "haute plume " sur tous les "ismes" (communisme, fascisme, colonialisme, existentialisme, sionisme...) qu'il a fréquentés ou combattus à ses risques et périls... Mais non! Il raconte son parcours comme il filme "Shoah " : au présent, et sans fioritures... On pense à ce livre de Simone de Beauvoir,"La Force de l'âge"... "Simone de Beauvoir. Nous y voilà ", écrit-il après avoir semblé tourné autour durant quelques pages... "J'ai aimé aussitôt le voile de sa voix, ses yeux bleus, la pureté de son visage et plus encore celle de ses narines "... De quoi accabler encore d'avantage ceux qui n'ont rien compris au tempérament profond de l'auteur du "Deuxième Sexe "... Il leur faut intégrer désormais les narines de Simone !

Mais Claude Lanzmann est déjà ailleurs. Chaque soir, au début des années 60, il fait preuve d'une superbe addiction en allant voir jouer au théâtre sa dulcinée du moment, Judith Magre. Là encore, l'endurance... La même pièce, chaque soir...D'autres figures fémines surgissent au fil des pages... Peut-être sont elles plus décisives encore que les voyages au long cours qui ont construit Lanzmann: la comédienne Evelyne Rey, sa soeur, qui met fin à ses jours après s'être consumée sur scène et auprès des hommes, ou encore cette infirmière nord-coréenne avec laquelle il noue une improbable romance dans un pays déjà dévoré par un totalitarisme ubuesque. Claude Lanzmann a également été résistant. Il a survolé Berlin lors du pont aérien de 1948. Il a grimpé des montagnes. Il fut aussi le confident de quelques stars, comme Brigitte Bardot ou Simone Signoret tout en militant pour l'indépendance algérienne...

Et puis Israël... Et puis "Shoah "...Du sionisme, l'auteur a finalement épousé les inquiétudes (mais aussi les dérives, disons-le franchement, même si la plume est beaucoup plus nuancée que les propos publics), tout en y ajoutant ses propres interrogations (son premier film s'intitulait "Pourquoi Israël ? ") ... Les nombreux chapitres sur "Shoah ", quant à eux, font ressurgir le caractère fleuve de ce chef d'oeuvre... Le film sort en 1985, mais Lanzmann commençait déjà à en tourner les grandes séquences huit ans auparavant ! Le fleuve, aujourd'hui, ne s'est pas tari.

A 83 ans passés, Claude Lanzmann a sans doute encore  d'autres affluents à l'esprit... J'aime à penser, par rapport à un coup de fil qu'il a passé juste avant l'interview, qu'il a éventuellement un dîner galant au programme... La prestance, la carrure en granit de l'homme,  ainsi que la profondeur et la richesse de sa prose, ne démentiront pas ce soupçon dont "Le lièvre de Patagonie " laisse entrapercevoir tous les possibles.

"Le lièvre de Patagonie", de Claude Lanzmann (Gallimard) Coup de projecteur avec l'auteur ce mercredi 15 avril à 8h30, 11h30 et 16h30.

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