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Le Genou d'Ahed

Le samedi 11 septembre 2021, par Laurent Sapir
Après son "Synonymes" de sinistre mémoire, Nadav Lapid confirme avec "Le Genou d'Ahed" à quel point il est devenu la figure la plus surfaite du nouveau cinéma israélien. Le jury qui a osé palmer "Titane" n'allait évidemment pas l'oublier dans son palmarès.

La victoire de la droite nationaliste israélienne serait-elle également culturelle ? Après le mollasson et branchouillet Laila in Haifa d'Amos Gitaï, c'est la radicalité hype, nombriliste et plombée de préciosité de Nadav Lapid dans Le Genou d'Ahed , prix du jury à Cannes, qui nous rend perplexe sur l'état d'une certaine gauche en Israël et sur sa capacité désormais à produire des émotions et des idées qui sonnent juste.

Le désastreux Synonymes du même réalisateur préfigurait la même impasse. Le jeune sans-le-sou allergique à l'hébreu et décrochant un job à l'ambassade israélienne à Paris, c'était déjà du grand n'importe quoi. La pose permanente, le style faussement bressonnien, les injections de burlesque tombant à plat... Quel crash ! Mais bon, au triste jeu des "synonymes " justement, il suffisait à Lapid de noyer son pays sous une pluie d'insultes ("méchant, obscène, ignorant, idiot, sordide, fétide "...) pour passer pour un résistant courageux.

Posture néo-punk... De fait, Nadav Lapid n'est pas Ahed Tamimi, cette authentique jeune fille palestinienne tenant tête à des soldats israéliens et dont le personnage principal, un cinéaste vaguement underground qui ne sourit jamais, veut adapter l'histoire sur grand écran. Sauf que la trame bifurque ailleurs, comme si la jeune Ahed et son genou qu'un député israélien rêve de briser d'une balle en pleine rotule n'étaient qu'un prétexte. Transbahuté dans un village reculé d'Israël où l'un de ses films est projeté, notre grincheux de service va plutôt régler son compte à une jeune et avenante fonctionnaire du ministère de la Culture originaire de la région. Elle entendait lui faire signer un formulaire sur les sujets à ne pas aborder lors du débat suivant la projection.

La mise en scène tourne alors le dos au magnifique plan d'ouverture en moto embarquée où un ciel livide est peu à peu haché par un paysage urbain. Sous couvert de dénonciation de la censure et de l'avilissement démocratique d'une société qui se perçoit éternellement en guerre, la caméra de Lapid devient aussi timbrée que l'objet de son réquisitoire. Ruptures de ton, mouvement incongrus, panoramiques épileptiques... On n'échappera pas évidemment à la grande et laide envolée (gros plan sur la bouche qui éructe...) contre la bêtise du nationalisme israélien.

Cette tendance à faire manifeste en mode bave dégoulinante nous gave, tout comme cet idéal pseudo-pasolinien du cinéaste qui rêve de se faire tabasser par son public. Nadav Lapid n'a pas les attributs qui lui feraient risquer un tel sort. Qui dérange-t-il vraiment vec sa crise de nerf sans véritable nerf et dénuée de toute émotion, même lorsque le personnage principal évoque sa mère mourante ou qu'il craque vers la toute fin du récit dans une scène qui rappelle étrangement la conclusion d'un film comme Drive my car, la grâce en moins ? Non, franchement, Ahed Tamimi n'a pas mérité ça.

Le genou d'Ahed, Nadav Lapid, prix du Jury à Cannes (Sortie ce mercredi 15 septembre)

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