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Killers of the Flower Moon

Le dimanche 15 octobre 2023, par Laurent Sapir
Le pétrole tue, surtout lorsqu'on appartient à la Nation Osage déjà éprouvée par la Conquête de l'Ouest... Sur un sujet aussi poignant que passionnant en lien avec la condition amérindienne, Martin Scorsese dévitalise la portée de son propos.

Le vent a souvent tourné et mal tourné pour la nation Osage. D'abord respectée sur un territoire étendu à la Louisiane, au Missouri et au Kansas, cette tribu amérindienne ne ressort pas indemne de la Conquête de l'Ouest. En 1870, un traité au forceps la relègue dans un coin rocailleux et poussiéreux de l'Oklahoma, aussi propice à l'exode qu'à la variole. Les Osages ont pu négocier heureusement la propriété de leurs sol... et de leurs sous-sol. Du coup, quand l'or noir y surgit inopinément au début du 20e siècle, les voilà riches comme Crésus, jusqu'à attirer pour leur malheur les blancs cupides filmés par Martin Scorsese dans Killers of the Flower Moon.

Vent mauvais et pleine lune, donc... On imagine ce que la maestria scorsesienne peut faire d'un tel bulletin météo. À 80 ans passés, le réalisateur de Taxi Driver semble pourtant s'être engagé ces derniers temps dans une voie moins spectaculaire. Au rayon oeuvre-somme, The Irishman en avait marqué d'emblée l'assomption avec ses gangsters spectraux et débranchés de ce qui les rendait autrefois si survoltés. À la place, on avait droit à De Niro dans un Ehpad et au sourire triste d'Al Pacino en pyjama.

On retrouve ici cette distanciation, mais dans une tonalité plus déceptive. Les spectres prennent d'autres visages, ceux de serial killers sans foi ni loi semant la terreur en 1921 dans plusieurs familles amérindiennes. L'occasion pour Scorsese de grossir les traits des tueurs, les rendant à la fois vulgaires et pathétiques. On devine là quelques échos récents dans la politique américaine contemporaine d'autant qu'en parallèle, le  cinéaste magnifie les rites et la dignité de la nation Osage.

Sauf que si l'intention est louable, ce n'est pas lui rendre service que de la déployer dans ce qui prend souvent l'allure d'un sombre polar familial mâtiné de farce macabre. L'enquête de David Grann (La Note américaine) dont le récit s'inspire avait semble-t-il une autre ampleur. Ce n'est que dans la 2e partie du film, qui dure 3h15, que l'envol narratif est enfin au rendez-vous avec l'entrée en scène du FBI et de son inspecteur en chef joué par l'excellent Jesse Piemons.

Le reste de l'interprétation est plus inégal. Auréolé par sa propre légende, Robert De Niro s'impose facilement dans la peau du commanditaire de l'opération qui n'hésite pas, derrière sa bonhommie de façade, à voler, spolier, tronquer les droits de succession et tuer tant lui est insupportable l'idée que ces maudits Peaux-Rouges puissent rouler sur l'or, et notamment l'or noir... Di Caprio, en revanche, se répand en grimaces inutiles dans le rôle du stupide neveu infiltré chez les Amérindiens et Lily Gladstone, qui joue son épouse, a malheureusement un peu de mal à crever l'écran. Au final, Killers of the Flower Moon n'a rien de déshonorant, à l'image de sa poignante dernière scène où Scorsese apparaît lui-même à l'écran, mais lorsqu'il s'agit de mettre en scène le péché originel de la nation américaine et la nuit amérindienne qui lui a servi de socle, mieux vaut revoir le Little Big Man d'Arthur Penn

Killers of the Flower Moon, Martin Scorsese, sortie en salles ce mercredi 18 octobre.

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