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Frankie, le Sultan des pâmoisons

Le dimanche 28 septembre 2008, par Laurent Sapir

Sinatra derrière la vitre... C'est un gosse, il est chez sa grand-mère, et derrière la vitre il regarde ses camarades de jeu. Il veut leur ressembler. Il voudrait être leur prince, écrit Alain Gerber... Et avec les gars de la Mafia, ce sera pareil... Sinatra voudrait tant leur ressembler... Mais il est encore derrière la vitre, ou plutôt de l'autre côté du Mississipi pour reprendre une autre image du récit... Dernières pages : Sinatra dans sa retraite de Malibu, derrière une baie vitrée...   Il regarde des jeunes gens qui jouent sur la plage... Il a la hantise de s'apercevoir en reflet dans la baie vitrée, et de ne plus avoir assez de souffle pour faire disparaître cette vision...

Sinatra qui essaie de s'endurcir, mais qui ne parvient qu'à se durcir, ce qui n'est pas tout à fait la même chose... Sinatra toujours sincère, également, au-delà de ses impostures dont il n'a pas conscience... Sinatra qu' Alain Gerber, fidèle à son art, fait revivre en se mettant dans la peau d'autres personnages: sur le passage Ava Gardner, Gerber n'est pas au mieux de sa forme... Il excelle en revanche à deux moments: d'abord en se mettant dans la peau du batteur Buddy Rich, le compagnon de chambrée de Sinatra dans l'orchestre de Tommy Dorsey et c'est vrai qu'en matière de chambrée, ils se sont beaucoup chambrés ces deux là, mais ils se sont aussi beaucoup aimés... Et Buddy Rich a tout de suite compris, alors qu'il était tout le contraire, comment Sinatra savait recevoir et pas seulement offrir tout au long de sa carrière...

Et puis l'autre sommet, c'est Sam, Sam Giancana, le chef de la mafia à Chicago... Lui aussi, comme Buddy Rich, comme Ava Gardner, comme la maman de Sinatra, il regarde un peu Sinatra de haut, mais c'est pour mieux percer sa fragilité : "On aurait dit un gosse qui a reçu la permission de trinquer avec adultes. Sauf qu'il n'y a que du jus d'orange dans son verre". Il n'est donc pas toujours à son aise, dans ces pages,  le Sinatra qui faisait tellement pâmer les filles, le fameux sultan des pâmoisons, comme le disait une certaine presse à l'époque, mais Alain Gerber est-il mieux à son aise, lui qui succombe à son tour à la fascination, quand il veut dans le même élan faire ressortir les traits les plus odieux de The Voice?

Lui aussi, comme nous tous, tombe dans Sinatra comme on tombe en pâmoison... "Fut-il exécrable ? Révoltant ou pathétique ?  Que nous importe au fond ? On peut bien le dire, maintenant que le livre est fini. Que nous importe, l'envers du décor, quand nous avons choisi d'être assis dans la salle, ayant même acquitté pour cela le prix d'un billet ?"...

"Frankie, le Sultan des pâmoisons", par Alain Gerber (Editions Fayard)

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