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Anéantir

Le mercredi 19 janvier 2022, par Laurent Sapir
Quelques effluves de résurrection conjugale pour dissiper la laideur de l'époque... Avec "Anéantir" et ses tonalités tour à tour endolories et apaisées, Michel Houellebecq gagne en espérance ce qu'il perd en vigueur.

Un grand roman maladif, pourrait-on dire du nouveau Houellebecq, comme en écho à cette notion de "grand film malade" dont se servait François Truffaut pour caractériser des œuvres aussi puissantes qu'inabouties, impressionnantes par leur ambition, endolories dans leur facture. Rien n'est anodin dans Anéantir, à commencer par son ampleur, son imparable lucidité sur notre présent -même si le récit se déroule en 2027- et cette tonalité de vieux sage nihiliste dégustant les aventures de Sherlock Holmes avant l'ultime voyage.

Rien n'est anodin, mais tout semble en même temps lymphatique, anesthésié... Curieuses modalités pour un récit qui tend malgré tout vers une forme de sérénité, voire d'espérance. Avant cela, le lecteur doit composer avec le trop-plein: de mystérieux attentats (non-islamistes), une campagne présidentielle mettant en avant un ministre de l'Économie macronien et étatiste (Bruno Le Maire ?), un sombre roman familial dans le Beaujolais, un plaidoyer contre l'euthanasie dès lors qu'il s'agit d'accompagner au mieux la fin de vie d'un père paralysé... D'un segment à l'autre, l'agilité n'est pas toujours au rendez-vous.

La partie politique reste l'une des plus réussies. Des post-macroniens affrontent un jeune et avenant candidat du RN doté d'un diplôme HEC et d'une sensibilité écolo. Une certaine Solène Signal s'avère être une impayable consultante en images. Même causticité avec le personnage d'Indy, pure Cruella de la presse de "gôche ". Contrairement à Sérotonine, hélas, les profils féminins plus "positifs" ont un parfum d'inachevé. On aurait voulu être plus ému, notamment, par Cécile, la frangine catho et généreuse qui découvre la lutte des classes en cuisinant pour les riches. Elle vote Le Pen ? Et alors ?

Cet art du So What se décline en d'autres occasions. "Il y avait des Arabes, beaucoup d'Arabes dans les rues...", écrit Houellebecq au sujet de certains renouvellements de population en zone rurale... sauf qu'il n'a plus l'air de s'en formaliser. Il est vrai que son personnage principal, Paul, conseiller du ministre à Bercy, livre d'autres batailles, à commencer par cette flamme qu'il s'efforce tant bien que mal de ranimer avec son épouse végane, Prudence. Il faut pour cela "laisser affluer entre eux un courant d'espérance, comme le sang se remet à circuler dans un organe meurtri "...

Houellebecq en flagrant délit de conjugalité ? L'exercice peut surprendre, surtout lorsqu'il mêle le tendre et le sulpicien. On n'est pas forcément acquis aux virées mystiques de Paul dans une église jouxtant le ministère, ses rêves et cauchemars qui reviennent de manière récurrente finissent eux aussi par lasser, et la vaillante Prudence, si sexuellement attentionnée soit-elle alors que son homme traverse une période délicate, suscite moins d'intérêt que lorsque l'auteur les décrit dans un premier temps, elle et Paul, comme accordant "une grande importance à ce que le naufrage de leur couple se déroule dans des conditions de civilisation optimales "...

C'est ce nouveau chapitre dans le déclin du mâle occidental, couplé au stoïcisme des dernières pages, qui finit pourtant par nous emporter, comme si la mélancolie souffreteuse mais apaisée du récit constituait la meilleure réponse à la promptitude encalminée des humeurs contemporaines, à leurs artifices, à leurs crispations surfaites. Évidemment que Houellebecq n'allait pas nous parler du Covid ! Il est ailleurs, toxiquement ailleurs, autrement dit au cœur de ce que l'art du roman peut nous offrir de plus nécessaire.

Anéantir, Michel Houellebecq (Flammarion)

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