Une bataille après l'autre
En roue libre mais nébuleux sur le plan politique, le nouveau film de Paul Thomas Anderson rassemble libertaires et conservateurs dans une odyssée américaine aussi distrayante que survalorisée.
Le coulis de pâmoisons qui enrobe chaque film de Paul Thomas Anderson devient franchement assommant. On ne dit d'ailleurs même plus Paul Thomas Anderson, mais PTA, telles des initiales sanctifiantes. Syndrome JLG, en somme, sauf qu'Anderson n'est pas Godard. À part le biblique There Will Be Blood, aucun de ses longs métrages n'a vraiment convaincu à 100 % même si l'avant-dernier, Licorice Pizza, avait d'abord pris la forme d'une magnifique ode à la jeunesse avant que les adultes ne viennent gâcher la fête.
D'une certaine manière, rien ne vient non plus perturber la fête dans Une bataille après l’autre. La mise en scène pétarade d'emblée, non sans vulgarité, au détriment de toute finesse dans l'écriture des personnages. Devant la caméra, Teyana Taylor en pasionaria débridée. Entre deux actions en faveur des migrants, elle emballe tour à tour un compagnon de lutte (Leonardo DiCaprio) passablement introverti - c'est pourtant un spécialiste des explosifs -, et un militaire facho auquel Sean Penn prête une dégaine "cartoonesque". Enceinte d'on ne sait trop qui, la sauvageonne balance ensuite tous ses potes aux forces de l'ordre, puis elle disparaît dans la nature.
Seize ans passent : notre artificier un peu timide a pris de l'embonpoint, sans pour autant ralentir sa consommation de cannabis. Il lui faut pourtant repartir au combat pour protéger la jeune fille qu’il a élevée, menacée par le même Sean Penn—désormais candidat à l’intégration d’un cénacle d’affreux jojos d’extrême droite, plutôt pointilleux en matière de cooptation. On l'aura compris, Une bataille après l'autre carbure au fioul lourd, faisant également intervenir Benicio del Toro en prof de karaté flegmatique, ainsi que des bonnes sœurs qui cultivent de la marijuana tout en écoutant un chant de Noël d'Ella Fitzgerald si mal mixé qu’on peine d’abord à la reconnaître.
Ce n'est pas la seule malfaçon musicale du film. Comment Jonny Greenwood, si inventif chez "PTA", a-t-il pu se perdre dans une B.O. aussi envahissante, dissonante et conceptuelle dans ses versants percussifs ? Même perplexité au regard de la portée politique du propos. Là où Thomas Pynchon (adapté pour la deuxième fois par Anderson après le déjanté Inherent Vice) évoquait sans nostalgie mais avec acuité l'alchimie toxique entre communautés post-Flower People et Amérique repliée des années 1980, le film verse d'abord dans une veine burlesque, à l'instar de DiCaprio qui ne se souvient plus du code lorsqu'il contacte ses anciens camarades de résistance... Pour le reste, il faudra se contenter d'une vision sommaire de l'ultra-droite américaine - la sphère MAGA pour les Nuls en quelque sorte - et d'une ultime course-poursuite effectivement impressionnante, sans pour autant dépasser le niveau fête foraine.
Une Bataille après l'autre, Paul Thomas Anderson (en salle depuis le 24 septembre)