Direct
WELCOME
LAURENT BARDAINNE

Inherent Vice

Le dimanche 01 mars 2015, par Laurent Sapir

Des motards roulant sous la bannière de la Fraternité Aryenne, un saxophoniste plus ou moins infiltré par le FBI, un dentiste pervers et cocaïné victime d'un fâcheux "accident" de trampoline... Bienvenue en Californie telle que la revisite, à l'aube des seventies, l'indomptable Thomas Pynchon. Pour la première fois, l'un de ses romans est adapté à l'écran, et ce n'est pas le moindre mérite de Paul Thomas Anderson que d'avoir relevé le défi avec un sens assumé du déjanté, du panache et de la mélancolie.

Au départ, tout n'est que collisions, l'épopée du Flower Power s'étant fracassée sur l'arrivée de Nixon à la Maison-Blanche et l'assassinat de Sharon Tate par la clique Manson. Collision, également, dans l'esprit tout aussi fracassé de Doc Sportello, surtout lorsque ce détective dopé à la marijuana voit surgir dans sa maison de plage l'une de ses ex qui lui demande d'élucider la disparition d'un vieux grigou de l'immobilier avec lequel elle fricotait sans vergogne. Notre ami Doc aurait aimé des retrouvailles plus romantiques. Surtout que la miss de son coeur disparaît mystérieusement, elle aussi.

Le voici alors embarqué dans un labyrinthe en eaux profondes censé lorgner vers un nébuleux système d'évasion fiscale. Le spectateur, à vrai dire, sera bien en peine de remonter la surface. Mais comment en serait-il autrement ? Voilà un détective qui essaie de faire le joint mais qui devrait déjà moins en abuser. Il se coltine, qui plus est, une ribambelle d'avances sexuelles tout au long de son enquête avec le concours pas très opérationnel d'un flic macho (Josh Brolin, coupe en brosse, accro aux glaces à la banane et se faisant gueuler dessus comme un gamin par sa femme...), anti-hippie et complètement névrosé.

L'intrigue, en vérité, n'est qu'un prétexte. Sous le double parrainage de Polanski (Chinatown) et d'Antonioni (Zabriskie Point), ambiances et dialogues disjonctent le scénar, dilatant le tempo du thriller dans l'existentialisme de l'errance ou plutôt, ici, l'existentialisme de la fumette. Il en résulte un spleen psyché-érotique fortement secouant. Le coeur à vif et le pied dans l'entrejambe, à l'instar d'une séquence d'anthologie bleue-orangée, Inherent Vice déploie ses sortilèges (c'est d'ailleurs le prénom de la narratrice) autour d'un enquêteur près à se damner dans n'importe quel dédale pour retrouver la femme qu'il aime.

C'est l'un des plus beaux rôles de Joaquin Phoenix. Désaccordé et désemparé, son look façon Neil Young et ses rouflaquettes font écho à un autre paumé à moustaches qu'il incarnait récemment sous la direction de Spike Jonze . Paul Thomas Anderson, quant à lui, retrouve la pleine forme après l'ennuyeux The Master. A défaut de l'intensité concentrique qui faisait de There Will Be Blood son chef d'oeuvre, Inherent Vice remet au premier plan ses indéniables qualités de mise en scène. La B.O. du film est pareillement craquante, depuis les atmosphères à la Vertigo de Jonny Greenwood jusqu'au parfum vintage et jazz exotica de certains autres morceaux d'époque (Les Baxter, Kyu Sakamoto, The Marketts...), sans oublier Les Fleur,  chouette reprise, par Minnie Ripperton, d'un morceau antérieurement et fabuleusement interprété par le pianiste Ramsey Lewis.

Inherent Vice, Paul Thomas Anderson (Sortie en salles le 4 mars)

Partager l'article
Les dernières actus du Jazz blog