Vendredi 21 août 2009 par Laurent Sapir

L.A. Story

Vous le saviez, vous, qu'on peut épouser des pierres à Los Angeles ?  Le premier mariage du genre -ça n'est pas une blague- eut lieu en 1950, quand une secrétaire employée dans une usine de pièces détachées du nom de Jeannene Swift a épousé   un grand bloc de granit... C'est James Frey qui raconte ça dans "L.A. Story ", roman-mégapole sur une ville de tarés dont le lecteur convient paradoxalement, avec l'auteur, qu'elle recèle également une part de rêves, de mythes et de particularismes  locaux qui en font en tout état de cause une destination de légende pour tout être humain qui se  veut citoyen du monde.

L'attrait du roman est de l'ordre du vertige: une centaine de personnages se bousculent au portillon de "L.A. Story ". Certains ne font qu'une unique apparition. D'autres, en revanche, s'accrochent aux basques de l'auteur comme s'ils avaient, en leur for intérieur, la niaque de la réussite qui seule permet de survivre dans la ville où l'on peut se marier avec des pierres... . Prenez Esperanza, par exemple, cette Latino pourtant née du bon côté de la frontière et qui va d'humilation en humiliation, jusqu'au moment où elle comprend qu'elle est tout bonnement irrésistible, bien que non formatée à la siliconerie hollywoodienne ambiante.

Vieux Joe, l'alcoolique en mal de rédemption qui crapahute sur Venice Beach;  Amberton Parker, l'odieux play boy qui pourchasse de ses assiduités un malheureux ex-footeux black; ou encore Dylan et Maddie, jeune couple errant fuyant l'Ohio pour s'efforcer d'avoir une vie tranquille (???) dans la Cité des Anges... Ceux-là surnagent dans le maëlstrom dont James Frey a le secret, mais c'est bien L.A., en fin de compte, dans tout ce qu'elle a de grouillant et d'infernal, qui demeure le personnage principal du livre.

Et pour un tel personnage, en fin de compte, la fiction n'est peut-être pas la meilleure arme... L'astuce de James Frey consiste ainsi, régulièrement, à pimenter son récit par de cours paragraphes sur l'histoire réelle de Los Angelès, depuis cette journée du 4 septembre 1781 ou quelques Indiens d'Amérique et des eslaves affranchis fondèrent le village de Pueblo de Nuestra Senora la Reina de Los Angeles de Porciuncula jusqu'à la construction du nouveau métro en 1997, en passant par l'essor d'Hollywood, la guerre des gangs, l' âge d'or de la Mafia, ou encore la naissance de ces grandes routes propice à l'un des passages les plus réussis du livre.

James Frey, à vrai dire, ne cesse de changer d'échelle tout au long de son épopée. Au plus près de certains de ses personnages, il s'en éloigne soudainement et part en spirale sur des énumérations édifiantes au sujet des ventes d'armes, de la traite des prostituées, ou encore des rêves brisés de tous ces Américains qui ont voulu faire fortune dans l'industrie du spectacle et qui se sont retrouvés barman, livreur de pizzas ou alors portant le costume de E.T. l'extraterrestre dans un parc d'attraction... C'est ce déséquilibre permanent entre fiction et non-fiction, servi par une écriture volontairement atonale à la Bret Easton Ellis, qui donne à ce "L.A Story" toute son ampleur et son originalité.

L.A. Story, de James Frey (Flammarion). Date de parution: 19 août. Coup de projecteur sur TSF le jeudi 27 août avec Hubert Artus, critique littéraire sur le site Rue 89.