Jeunesse (Les Tourments)

Wang Bing nous offre le deuxième volet, formellement impressionnant, d'une trilogie dédiée aux jeunes ouvriers chinois payés à la pièce dans des ateliers de prêt-à-porter bas de gamme. Cette fois-ci, il y a vraiment matière à révolte.
Les machines à coudre bourdonnent sans répit, des restes de tissus traînent partout sur les sols et les dortoirs sont toujours aussi spartiates. Bienvenue à Zhili, cet épicentre du textile made in China où "l'atelier du monde", dès lors qu'il alimente essentiellement le marché intérieur (notamment les vêtements pour enfants), absorbe sans états d'âme la force de travail de milliers de jeunes saisonniers payés avec des salaires de misère. Qu'un pays dit "communiste" synthétise de manière aussi blafarde la notion même d'exploitation semble ici aller de soi. Reste à en documenter les modalités de résistance, ce à quoi le documentariste chinois Wang Bing s'est attelé dans la durée.
Le premier volet-marathon de son odyssée (3h30) nous faisait déjà découvrir de surprenants contrepoints à l'enfer quotidien vécu par ces jeunes corvéables à merci. Flirts, plaisanteries, conversations fleur bleue... Wang Bing s'attachait à des cœurs alertes malgré des journées de travail de parfois 23 heures. Changement d'ambiance dans cette nouvelle salve où le débit accéléré d'une conversation entre deux employées dont l'une a failli à sa tâche achoppe sur une brutale quinte de toux. L'esprit est moins léger quand il faut tenir le rythme. Le corps s'en ressent.
Plus stressante encore, la disparition inopinée du directeur de l'un des ateliers suite à une bagarre ayant donné lieu à une intervention policière. Plongés dans cette situation inédite, les héros de Wang Bing ne savent pas trop comment réagir. D'abord médusés, oscillant entre repli et camaraderie, ils tentent de vendre leur outil de travail au plus offrant, mais la partie paraît perdue d'avance. Maîtrise formelle impressionnante, plus encore que dans le premier volet. Le jour se confond avec la nuit, une symphonie de machines et de poussières, à la fois sombre et colorée, happe l'écran et la laideur, partout, dans l'atelier, le long des coursives ou au grand air, finit par produire une étrange beauté.
La seconde partie carbure avec moins d'intensité, sans doute parce que les jeunes employés laissent la place à des figures plus défraîchies et qu'une interminable séquence de négociations salariales rappelle un peu trop le premier volet de la trilogie. Wang Bing y intercale en même temps une scène saisissante qui voit l'un des ouvriers, étendu sur son lit avec son ordinateur, en train d'évoquer les émeutes auxquelles il a participé au début des années 2010 à Zhili lorsqu'un collecteur d'impôts a frappé une femme enceinte. On ne voit pas à qui il s'adresse. Est-ce Wang Bing lui-même, ou alors l'un de ses opérateurs résolu cette fois-ci à se montrer moins neutre, même en mode hors champ? "La police nous a ouvert les yeux sur la réalité de cette société", lâche le jeune ouvrier. Tout est dit.
Jeunesse (Les Tourments), Wang Bing. En salles depuis hier mercredi.