Michel Simon, l'acteur-monstre plutôt que le "monstre sacré"...

"Boudu...", "L'Atalante", "Panique", "Le vieil homme et l'enfant"... La palette de Michel Simon, parti il y a tout juste 50 ans, le 30 mai 1975, est aussi hallucinante qu'hallucinée.
Dans le chef d'œuvre méconnu de Jean Renoir, Boudu sauvé des eaux (1932), Michel Simon allie rage et truculence en clochard aussi repoussant qu' irrésistible. Boudu boit, éructe, crache sur des beaux livres et cocufie allègrement le libraire qui l'a sauvé du suicide. Rarement on a autant donné dans l'irrécupérable face à l'hypocrisie bourgeoise. Le rôle est d'autant plus spectaculaire que l'acteur venait tout juste d'incarner, toujours devant la caméra de Renoir, l'anti-Boudu par excellence à travers l'employé timoré de La Chienne manipulé par une prostituée dont il tombe amoureux. Il interprète aussi dans la même période le matelot à la fois bourru, asocial et tendre de L'Atalante, le joyau poétique de Jean Vigo. Peut-être le rôle qui lui ressemble le plus.
Palette aussi hallucinante qu'hallucinée. Michel Simon, parti il y a tout juste 50 ans, le 30 mai 1975, laisse le souvenir d'un "acteur-monstre" en espérant que cette expression fasse moins polémique que celle de "monstre sacré" au regard d'une récente actualité artistico-judiciaire. Tout en étrangeté et en douceur inquiétante, ses traits et sa gestuelle paraissent surtout convoquer une folie intérieure qu'il parvient comme acteur à "domestiquer en la ralentissant ou en l'accentuant", comme l'observe l'écrivain et historien du cinéma Noël Herpe interviewé sur TSFJAZZ. "Avec d'autres comédiens, poursuit Noël Herpe, ou bien on part tout de suite dans le délire, ou alors cela reste en sourdine alors que chez Michel Simon, la capacité à décliner sur plusieurs registres cette folie qu'il a en lui est proprement sidérante."
Plus sidérant encore, ce moment où la folie rencontre la lucidité. Dans Panique, dont on connaît surtout le remake (Monsieur Hire,1989) et qui a été réalisé par Julien Duvivier après la Libération, Michel Simon semble jauger du fond de sa bizarrerie ce que l'espèce humaine a de plus vil. Pas étonnant qu'après déjà une glaçante scène d'auto-tamponneuses il soit victime de la vindicte populaire. Pour Noël Herpe, Panique reste avant tout la "métaphore terrible" de la haine antisémite dans les années sombres, même si l'acteur n'a pas vraiment joué au héros durant cette période: "Il ne croit plus en rien, il a passé en revue la comédie humaine "...
Ne lui reste plus alors qu'à parfaire sa légende. Après Drôle de drame et Quai des brumes dans les années trente, Sacha Guitry lui redonne la verve d'antan dans La Poison. Michel Simon trouve également un autre rôle d'anthologie dans un film qui, sur le papier, fait un peu peur, sauf quand c'est lui, Le "vieil homme" face à l'enfant juif caché durant la guerre sous la direction de Claude Berri. Le reste, à savoir sa vie, ses lubies et son comportement personnel, y compris dans une sphère ultra-privée, ont inspiré une toute autre littérature. Elle compte bien peu dans le constat que nul autre acteur, à part peut-être Marlon Brando, ne m'a autant bluffé à l'écran.
Michel Simon (9 avril 1895-30 mai 1975)