Yves Boisset, une écriture citoyenne...

Adepte d'un cinéma engagé et rentre-dedans qui fuyait comme la peste les vaines virtuosités, Yves Boisset savait d'abord aller à l'essentiel, signant des œuvres aussi marquantes que "Un Condé", "Dupont Lajoie" et "Le Prix du danger". Il s'éteint alors que sa filmographie commençait à peine à être réévaluée.
Nous voulions l'entourer comme il se doit l'an passé sur TSFJAZZ pour ses 85 printemps. Un "Yves Boisset & friends", en quelque sorte, que les suites compliquées d'un AVC avaient rendu impossible sans amoindrir en rien notre affection et notre admiration. Regrets éternels, en même temps, au regard d'un cinéaste longtemps sous-estimé et dont la réhabilitation commençait à peine à prendre sa vitesse de croisière.
Ainsi redécouvrait on Un Condé, ce récit à la mise en scène si "melvillienne" autour d'un flic ripou protégé par ses supérieurs et suscitant autant détestation que fascination. Lino Ventura, qui devait jouer le rôle initialement, avait décliné, jugeant le personnage trop ambigu. Le ministre de l'Intérieur de l'époque, Raymond Marcellin, avait quant à lui carrément détesté le propos, faisant subir à Yves Boisset ses premiers démêlés avec la censure. La postérité a tranché. Elle n'oubliera pas de sitôt Michel Bouquet et ses gants noirs ainsi que Michel Constantin dans la peau d'un tueur qui balance à un moment: "Ça fait des années que j'attends la mort".
Une mort sale, on l'imagine, comme tous les meurtres chez Boisset. On se souvient encore de Patrick Dewaere abattu comme un chien dans Le Juge Fayard alors qu'il s'est réfugié sous une voiture. Surtout ne pas esthétiser ce qui n'a pas à être esthétisé. Au carrefour du polar américain et du film politique à l'italienne, Boisset va à l'essentiel, sans fioritures, avec parfois une sécheresse et une distanciation qui rendent à jamais inconséquents les reproches de cinéaste "lourdaud" dont certains l'ont stupidement affublé.
De Dupont Lajoie à R.A.S., en passant par L'Attentat pour lequel cet amoureux du jazz avait fait appel à un certain Ennio Morricone au rayon B.O., il passait au crible les fléaux de son temps: racisme, raison d'Etat, tortionnaires au sein de l'armée... L'écriture va encore plus cingler, dans un mélange haletant de rage et de jubilation, lorsqu'il mettra en scène avec Le Prix du danger les ravages d'une certaine course à l'audimat. Bien moins désincarné que La Mort en direct où Bertrand Tavernier traite un peu du même sujet, ce récit d'anticipation qui tourne au jeu de massacre offre à Gérard Lanvin l'un de ses plus beaux rôles. Autant de films qui font désormais partie d'un certain "patrimoine" du cinéma français, du temps où celui-ci ne se noyait pas encore dans une virtuosité creuse et factice, du temps où derrière une caméra, un citoyen formait d'autres citoyens.
Yves Boisset (14 mars 1939-31 mars 2025)