Direct
EMILY
JIM HALL

Without a Net

Le jeudi 28 février 2013, par Laurent Sapir

"Composer, c'est improviser en plus lent", dixit Wayne Shorter cité par Stéphane Carini dans un ouvrage de référence joliment intitulé "Les singularités flottantes de Wayne Shorter" (Editions Rouge Profond, 2005)... On ne peut mieux résumer les sommets d'ébahissement que suscite le comeback du légendaire saxophoniste dans l'écurie Blue Note. Car c'est bien dans cet alliage exquis entre fougue et ciselure, ferveur et minutie, musique en spirale et profondeur d'écriture que "Without a Net" subjugue. 

L'art de la composition, effectivement, n'a pas éteint en Wayne Shorter ce que son  jazz "sans filet" -pour reprendre le titre de l'album-  a de plus vivant. La trame scénique du disque en est d'ailleurs un vibrant témoignage. Cris, vivats, exclamations...  On y surprend même un désormais gravé dans le marbre "Oh My God !" lâché d'on ne sait où et qui dit à lui seul l'énergie et l'osmose dégagées par un quartette d'exception lors de ses concerts de 2011 en Europe ainsi qu'au Walt Disney Concert Hall de Los Angeles.

Ils se connaissent tellement bien entre eux, désormais...  Danilo Perez au piano, John Patitucci à la basse, Brian Blade à la batterie... 13 ans déjà, et toujours la même énigme quant au rôle qu'occupe réellement Wayne Shorter parmi de tels cadors. Ce n'est pas vraiment un patron. Encore moins un gourou. Plus sûrement le catalyseur d'une odyssée  gorgée de fraternité musicale et d'"offrandes réciproques"... On reprend ici, encore une fois,  les mots de Stéphane Carini à-propos du 2eme quintette de Miles Davis et de la synergie qui l'animait.

Contrairement à ce qui a pu se dire ici ou là, Wayne Shorter n'était pas dominé, ou fasciné, ou même "confessé" par Miles. Il en était tout simplement le complice, et on pourrait dire la même chose de sa relation avec John Coltrane... Un disque de complices, donc, avec des hardiesses d'écriture qui ne dissimulent en rien la notion de jeu dans ce qu'elle a de plus ludique... Il n'y a qu'à entendre ce climat incertain -hyper joueur, justement- que Danilo Perez et Brian Blade instillent dans l'intro d'un morceau comme "S.S. Golden Mean" avant que l'affaire ne prenne une tournure beaucoup plus caribéenne.

Sur "Zero Gravity to the 10th Power", c'est Patitucci qui mène pareillement la danse, essaimant quelques sonorités funks avant que Danilo Perez ne fasse naître d'autres paysages. Autre sommet, mais dans un versant plus élégiaque, "Starry Night" et sa pluie d'étoiles que semble frôler un vol d'oiseaux... On a gardé le meilleur pour la fin, bien sûr... "Pegasus" ou le cheval ailé de Wayne Shorter. 23 minutes de folie au milieu du disque avec, au côté du quartette, l'ensemble à vents Imani Winds... On s'y agrippe une première fois, à l'échine du cheval avant, très vite, de tomber dans le ravin. On tient plus longtemps à la seconde écoute, puis re-chute. Le miracle survient à la 5e ou 6e tentative, je ne sais plus, et là, cheveux au vent sous le tonnerre et les éclairs, c'est vraiment l'Olympe.

"Without a Net", Wayne Shorter (Blue Note) soirée spéciale, sur TSFJAZZ, le 21 mars prochain (19h-20h), avec notamment Wayne Shorter interviewé par David Koperhant.

Partager l'article
Les dernières actus du Jazz blog