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Vincent Artaud au Duc des Lombards

Le lundi 13 décembre 2010, par Laurent Sapir

Au terme d'une année où le jazz hexagonal est apparu un peu policé, les explorations de Vincent Artaud sont comme un oasis en plein hiver. Le maître de cérémonie officiait en quartet, samedi soir, au Duc des Lombards, enveloppant le club parisien d'une odyssée sonore tour à tour ténébreuse et lumineuse dans le prolongement de son nouvel album, "Music From Early Times"... Résultat: une soirée cosmique, mystique, stratosphérique, électronique, géométrique, mais avant tout immensément respectueuse d'un public qui aurait très vite pu se sentir largué face à un projet qui déroge à toutes les convenances.

C'est avec des mots simples heureusement, et avec un sens de l'humour parfaitement bien dosé, que le multi-instrumentiste nous a expliqué comment, en l'espace d'une soirée, nous allions cheminer, dans l'enchaînement des morceaux,  de la matière à l'esprit en passant par l'âme... Versé dans l'ésotérisme, Vincent Artaud en élague toutes les chinoiseries : présentant l'un des meilleurs titres de son nouvel album, "Rule of Circle", il commence par nous parler d'un "morceau légiféré avec jurisprudence". Autrement dit, le cercle, symbole de la loi, trouve ici sa traduction musicale avec une intro super planante et un prolongement mélodique de toute beauté avant que ne surgisse, vers le dernier tiers du morceau, une lézarde post-free au sax qui déchire tout sur son passage, introduisant en quelque sorte dans la loi l'élément conflictuel faisant jurisprudence.

Les notes bleues les plus hypnotiques vont ainsi se succéder, durant toute la soirée, appuyées sur des nappes électro "dark side" qui n'écrasent en rien l'envol harmonique de la plupart des titres. Le travail sonore évidemment doit beaucoup à un certain rock progressif des années 70,  avec ici ou là des emprunts space funk ou "musique industrielle", même si l'écriture (Et on sait que sur ce point Vincent Artaud a pu compter à la direction artistique sur un certain Daniel Yvinec) ménage de vrais instants d'impros qui donnent au quartet toute sa dynamique.

On restera, à ce propos, estomaqué par le robotique et  martial "Victoire", véritable climax de la soirée, avec un Vincent Lafont rugissant aux claviers tandis qu'à la batterie Fabrice Moreau s'aventure dans un groove heavy-rock assez hallucinant et que Frédéric Couderc emporte définitivement l'affaire au taragot, cette fameuse clarinette roumaine qu'il a sortie de son attirail d'instruments à vent plus originaux les uns que les autres... A l'écoute de l'album, on s'interrogeait sur sa traduction scénique. On imaginait éventuellement des dispositifs vidéo ou une excroissance technologique censée en amplifier le caractère intersidéral.

Cette musique en vérité se suffit à elle même tant elle répond à un équilibre subtil dans sa conception, son écriture et ses arrangements... Elle n'a pas besoin d'être illustrée puisqu'elle est d'emblée incarnée, y compris dans ce que ses équations peuvent receler d'intrigant et d'énigmatique pour des oreilles profanes... Oui, il y a bien, dans "Music From Early Times" et dans sa version en club, une sorte de "mathématique bleue" comparable à celle que chantait Léo Ferré dans "La Mémoire et la Mer", autre rébus d'anthologie, et donc Vincent Artaud, qui connait son Pythagore par coeur, déploie avec bonheur tous les envoûtements.

Vincent Artaud au Duc des Lombards (c'était les 10 et 11 décembre) Le concert de ce samedi sera diffusé le vendredi 17 décembre sur TSFJAZZ à 21h dans JazzLive. "Music From Early Times" est sorti sur le label Discograph.

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