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Veiller sur elle et Humus

Le mercredi 01 novembre 2023, par Laurent Sapir
À moins d'une semaine de la remise du Goncourt, deux récits prétendant au titre de grand roman populaire paraissent avoir leurs chances: "Veiller sur elle", de Jean-Baptiste Andrea, et "Humus", de Gaspard Koenig.

Un grand roman populaire peut parfois prétendre au plus prestigieux des trophées. Laurent Gaudé avec Le Soleil des Scorta, Pierre Lemaître à travers le souffle de son Au revoir là-haut ou encore, plus près de nous, L'Anomalie si captivante d'Hervé Le Tellier en ont été les plus belles illustrations. Ils sont deux cette année à vouloir réconcilier Goncourt et littérature mainstream dès lors qu'elle associe force d'écriture et ampleur romanesque. Deux postulants qui, en même temps, ne parviennent pas complètement à convaincre.

Lauréat du Roman Fnac dès la fin du mois d'août, Jean-Baptiste Andrea nous embarque pourtant dans un univers particulièrement épique avec Veiller sur elle. Son héros, Mimo, né dans la misère et atteint de nanisme avant de devenir sculpteur, traverse l'histoire italienne du début du 20e siècle puis la nuit mussolinienne sans jamais oublier ni renoncer à Viola et à tous les contrastes qui résument ce personnage féminin: châtelaine et sauvageonne, grave et fantasque (elle se définit à la fois comme la "Viola des cimetières et des sauts dans le vide... "), exubérante dans un premier temps avant que le poids de l'Histoire et celui de ses origines ne la contraigne, peu à peu, à une attitude plus monacale... 

Difficile d'élucider ce qui limite notre adhésion à un tel roman. Le souffle romanesque est indéniable dès les premières pages, notamment à travers l'amour naissant de Mimo pour Viola alors qu'ils sont encore enfants. La plume, quant à elle, enchaîne fulgurances sur fulgurances et les ressorts de la double narration -presqu'une mise en abyme- avec le même Mimo au moment où il s'apprête à rendre l'âme dans une abbaye italienne, fonctionnent assez habilement. Peut-être est-ce la sculpture dont il est ici beaucoup question qui nous laisse un peu à quai. Ou peut-être que ce Veiller sur elle, malgré tous ses atouts cinématiques, achoppe sur le fait que son personnage masculin n'est pas vraiment à la hauteur, si on peut dire, de son interlocutrice tant aimée. Rien au final, pas même le mystère d'une piéta qui finit par ornementer le récit, ne nous "parle" vraiment au gré des pages.

Connu comme essayiste et influenceur libéral, Gaspard Kœnig entend lui aussi se transcender dans une fresque romanesque dont le thème ne manque pas d'originalité. Au gré d’un récit construit un peu comme le générique de la série Amicalement vôtre, ses deux personnages principaux sont amis pour la vie, ou presque... De fait, Arthur et Kevin cultivent une passion insolite pour les lombrics et autres vers de terre, ne serait-ce que par leurs vertus écologiques face au changement climatique.

Sauf que les chemins, ensuite, ne vont cesser de diverger. Fils de riche, Arthur reprend une ferme abandonnée, échoue à redonner vie à une terre ravagée par les pesticides et finit complotiste et éco-terroriste. Résultat: un tout dernier chapitre grand-guignolesque et un peu malsain sur le plan politique qui dissipe toute la finesse, l'émotion et la puissance de récit qui ont précédé. L'itinéraire de Kevin, ce fils de paysan dont l'intégrité se fissure dans les vices du greenwashing et des dîners en ville, était autrement mieux tissé.

Veiller sur elle, Jean-Baptiste Andrea (L'Iconoclaste). Humus, Gaspard Konig (Editions de l'Observatoire). Le prix Goncourt sera décerné le 7 novembre.

 

 

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