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PAT METHENY

Va où la rivière te porte

Le mardi 09 avril 2024, par Laurent Sapir
"Cry Me a River" en plein Colorado sous la plume de Shelley Read dont le premier roman, traduit chez Robert Laffont, a bluffé l'Amérique grâce au pouvoir d'émotion de son héroïne et des paysages naturels qui l'entourent.

Le titre du roman ne paie pas de mine. Le profil psychologique de son héroïne non plus. Par quel mystère est-on alors emporté à ce point par l'odyssée de Victoria Nash, prude jeune femme du Colorado ayant lu la Bible comme il faut et gérant seule le verger paternel après la mort de sa mère ? Fraîcheur inhérente d'un premier roman, même lorsqu'il est signé par une prof d'une cinquantaine d'années désormais traduite dans une trentaine de pays après un succès déjà phénoménal aux Etats-Unis et au Royaume-Uni ? Reconnaissons déjà un nom prédestiné à son autrice, Shelley Read.

Tout le reste paraît en découler, à l'instar d'une magistrale scène d'ouverture autour d'une ville engloutie suite à la construction d'un barrage: "Ma maison se trouve au fond d'un lac. Notre ferme gît dans la vase, où rien ne distingue ses vestiges d'une épave. Des truites lisses et luisantes se baladent dans ce qui était ma chambre (...) La terre, autrefois fertile, marine dans sa torpeur "... Le lac était jadis une rivière, l'impétueuse Gunnison, et Victoria Nash une demoiselle sans histoire, hormis quelques épreuves familiales, avant qu'elle ne rencontre un vagabond à la peau trop foncée.

Elle le paiera au prix fort, son amour interdit avec un Amérindien, surtout quand tout cela se déroule en 1948. Peut-être que sur l'autre rive de l'Atlantique et au regard d'un paysage littéraire où les discriminations ont surtout été contées du point de vue africain-américain, prendre appui sur le sort des Native Americans a certainement singularisé l'univers de Shelley Read. Cette campeuse confirmée a su par ailleurs tirer partie de son environnement dans ce grand Ouest américain où la nature la plus sauvage semble parfois s'harmoniser avec ce qu'endure ou espère l'héroïne.

On n'oubliera pas de sitôt la fuite en solitaire de la jeune femme dans un endroit des plus reculés, tout comme le destin particulier de ces pêches juteuses issues du verger familial et qui vont renaître elles aussi après avoir été transvasées, comme Victoria, d'une terre à l'autre. Épreuves en tous genres, abandon, retrouvailles... Le récit ne perd jamais en route sa force narrative, se poursuivant jusqu'au début des années 70 et croisant également la grande Histoire au gré de ce qui se passe au même moment au Vietnam.

La romancière crée par ailleurs d'autres personnages féminins magnifiques, à l'instar de cette voisine un peu folle de prime abord, Ruby-Alice, mais dont la générosité transparaît dans des scènes aussi muettes que prodigieusement parlantes. De quoi nourrir la plus prenante et la plus dépaysante des littératures entre lacs, montagnes et rivières d'une Amérique aussi âpre que résiliente.

Va où la rivière te porte, Shelley Read, éditions Robert Laffont. Coup de projecteur, ce jeudi 11 avril, à 13h30 sur TSFJAZZ, avec Claire Do Sêrro, directrice éditoriale en littérature étrangère chez Robert Laffont.

 

 

 

 

 

 

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